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de Savoie l’avait traitée avec une grande faveur, jusqu’à lui laisser espérer le mariage d’un de ses enfans avec cette fille non encore mariée[1]. La marquise, femme ambitieuse et rusée, avait tiré un grand parti des hommages des ducs de Savoie; le maréchal était ébranlé : il avait été un moment sur le point de célébrer son propre mariage à Turin. Il en avait été détourné par un de ses amis, Frère, premier président au parlement de Dauphiné. Revenu en France, il consulta l’archevêque d’Embrun; enfin, le 16 juillet, il épousa la marquise, et l’archevêque célébra le mariage. Les églises protestantes, qui depuis longtemps censuraient le scandale de sa vie, le blâmèrent encore pour avoir célébré son mariage conformément aux rites catholiques. Quand le jeune marquis de Villeroy vint lui faire ses complimens : « Mon ami, lui dit Lesdiguières, vous vous êtes marié à dix-huit ans et moi à soixante-cinq. N’en parlons plus : il faut une fois dans sa vie faire une folie. »

Les Espagnols avaient profité du retour du maréchal en France pour reprendre l’offensive; ils mirent le siège devant Asti et Verceil; cette fois, le roi donna secrètement ordre au maréchal d’aller au secours de Verceil, mais sans engager le nom du roi de France. Il se mit en chemin le 17 juillet et apprit à Veillane la capitulation de Verceil. Le duc de Savoie, désespéré, alla au-devant du maréchal; il fut résolu avec l’ambassadeur de France et celui de Venise qu’on entamerait des négociations avec les Espagnols, ce qui donna le temps au roi de France de faire passer une armée en Italie, qui fut mise sous les ordres de Lesdiguières. Avec les forces du duc, le maréchal eut 10,000 hommes de pied et 2,000 chevaux; défense lui avait été faite de chercher le roi d’Espagne dans ses états et de faire paraître les enseignes de France ; ses troupes ne devaient pas être distinguées de celles du duc. Un grand nombre de gentilshommes français servaient comme simples volontaires.

L’armée espagnole se mit en retraite : en six jours, le maréchal se rendit maître de cinq petites places, et l’on fit une suspension d’armes. On redoutait toujours à la cour que le maréchal ne poussât les choses à l’extrémité et n’engageât le roi de France à la rupture avec le roi d’Espagne. Lesdiguières écrivait à Villeroy qu’il

  1. Marie de Médicis écrivait, le 12 juillet 1615, à Lesdiguières : « j’ai aussi esté bien advertie de la particulière affection que la marquise de Treffort porte à ce qui est de mon service et contentement, dont je lui sçay très bon gré et m’en ressouviendray. Et parce que je voy qu’elle se règle en cela principalement en ce qu’elle reconnoist être de votre inclination, je vous ay voulu tesmoigner par celle cy le particulier ressentiment que j’en ay. » Tout le monde, on le voit, ménageait la favorite, comme le prouve cette lettre, que nous trouvions récemment dans les manuscrits Colbert. (Bibl. nat., 500 Colbert, V. 39, p. 304.)