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prochain 1789 pour la Prusse ; il voyait sûrement à Berlin « un grand désarroi moral, précurseur de désordres matériels. » Il pensait bien que la crise prussienne aurait son retentissement et ses effets hors du royaume, en Allemagne, même en Europe, et, chose curieuse, c’est avec le premier ministre de la monarchie « révolutionnaire » de Juillet, c’est avec M. Guizot, qu’il échangeait le plus volontiers ses impressions de conservateur alarmé. Entre Vienne et Paris, par des raisons différentes, il y avait une certaine communauté de crainte sur ce qui se préparait à Berlin. « M. Guizot, disait le chancelier, fixe des regards inquiets sur ce qui se passe aujourd’hui en Prusse. Il ne peut mettre en doute qu’entre son impression et la mienne, il ne saurait guère y avoir de différence. Ce que je vous ai déjà dit sur ce grave sujet doit prouver à M. le ministre des affaires étrangères combien je suis éloigné de partager le sentiment de confiance dans le succès qui anime Sa Majesté prussienne… M. Guizot me trouvera constamment disposé à l’échange le plus franc de mes impressions et de mes idées avec les siennes… » Lorsque, par une patente du 3 février 1847, le roi Frédéric-Guillaume se décidait enfin à donner sa constitution, à appeler à Berlin ce qu’on appelait les « états réunis, » M. de Metternich répétait le mot des grandes aventures : Jacta est aléa ! Et peu après, voyant se dérouler tout ce qu’il avait prévu, il ajoutait avec une sagacité qui jugeait le présent, qui perçait aussi l’avenir : «… Le roi a été entraîné où il ne voulait pas aller. Il ne voulait point d’états-généraux, et il les a dans les états réunis. Il ne voulait pas la périodicité des réunions, et il l’a. Il ne voulait pas subordonner aux états toute la législation, et elle est entre leurs mains… Six cent treize individus ne se laissent pas mettre sur un lit de Procuste, et, si on les y met, ils font sauter le lit et s’en procurent un meilleur. Il faut que, sous la pression du nouveau système, la Prusse ait ses coudées franches ; il faut qu’elle s’efforce d’agrandir l’espace où elle est emprisonnée : l’idée allemande lui en fournit les moyens tout prêts, et ces moyens, c’est l’idée des « nationalités » qui les lui offre, — cette idée qui dit tout et ne dit rien, cette idée qui remplit actuellement le monde ! .. »


VII

De telle sorte que tout se réunissait, tout concourait à la crise la plus compliquée. Au même instant, la Prusse s’ébranlait, et, en s’ébranlant, elle ravivait, elle remuait en Allemagne des instincts longtemps contenus. La guerre civile du Sonderbund, en Suisse, allait se dénouer par une victoire du radicalisme devant l’Europe émue et impuissante. Au-delà des Alpes, à Naples, à Rome, à