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Florence, tout se préparait pour une explosion, — et à quelques lieues de la frontière lombarde, il y avait un roi qui était à Turin ce que le roi Frédéric-Guillaume était à Berlin. La France elle-même, quoique placée sous un gouvernement conservateur qui se flattait d’avoir fixé pour longtemps les destinées de la monarchie de Juillet, la France se sentait agitée de mouvemens sourds et inquiétans. Au midi comme au centre de l’Europe, les incidens se multipliaient, et tout cela c’était la révolution encore une fois, — la révolution que le chancelier d’Autriche combattait depuis plus de trente ans, qu’il voyait maintenant reparaître plus menaçante. « Je suis vieux, mon cher comte, — écrivait-il à M. Apponyi, — et j’ai traversé bien des phases dans ma vie publique. Je suis ainsi à même d’établir entre les situations des comparaisons que je ne cours pas le risque de voir faussées par des passions ou une irritabilité qui me sont étrangères. Eh bien ! je vous avouerai que la phase dans laquelle se trouve aujourd’hui placée l’Europe est, d’après mon intime sentiment, la plus dangereuse que le corps social ait eue à traverser dans le cours des dernières soixante années… » Il parlait ainsi à la fin de 1847. On se croyait revenu aux émotions fiévreuses, aux perspectives révolutionnaires et guerrières de 1830, de 1831, et c’était peut-être encore plus vrai qu’on ne le croyait : on revenait aux mêmes crises avec une aggravation de toute chose, avec des gouvernemens plus affaiblis ou indécis, et des excitations populaires plus générales, plus difficiles à contenir désormais par la diplomatie ou par la force.

« Il y a des affaires de tous les côtés, avait écrit un jour M. de Metternich, et quand on les examine, toutes se réduisent à une seule : c’est la révolution qui fait la guerre à tout ce qui est stable… » C’est l’explication de sa vie, le résumé de ses idées dans ce qu’on peut appeler son long gouvernement de l’Europe. Il est, lui, contre les changemens, contre ce qui trouble l’ordre silencieux des sociétés, contre tout ce qui démantèle ou menace la cité traditionnelle et immuable. C’était assurément un observateur clairvoyant et expérimenté des maladies de son temps : il les connaissait, il se flattait encore plus de les connaître à fond. Il ne se trompait pas quand il voyait la révolution dans tous les faits qui se pressaient et se succédaient autour de lui : son erreur ou sa faiblesse était de ne trouver à opposer au mouvement grandissant, à la force des choses, que des expédiens, des « toiles d’araignée, » déguisant à peine une simple politique d’immobilité. Mme de Metternich écrivait un jour, aux premiers temps de son mariage : « Clément a joué avec Richard, et il y a pris tant de plaisir qu’il a fini par faire des bulles de savon avec Gentz, ce qui n’est pas peu dire parle temps qui court… » Le chancelier lui-même a écrit un