Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre jour, à l’occasion d’une de ces réunions de Teplitz où il se rencontrait avec les rois et les princes : « Rien ne me représente mieux la fixité dans les petites choses que la réunion de Teplitz. Toutes les figures sont pétrifiées à leurs places respectives… Les années passent, les figures restent jusqu’à leur mort naturelle. Le roi prend régulièrement le même nombre de prises de tabac, Wittgenstein dit les mêmes polissonneries. Tout tourne et change, excepté ces personnages, — et moi aussi, qui tiens ma place dans ce cadre d’immobilité… » C’est un peu l’image de la politique de M. de Metternich ! Le chancelier faisait quelquefois des « bulles de savon » avec sa diplomatie, ou, s’il s’agitait, il s’épuisait en vaines tactiques sans rien empêcher. Ses relations mêmes avec la France, relations devenues en apparence plus intimes depuis quelques années, cachaient une invariable réserve. Il témoignait une certaine confiance personnelle aux hommes, au roi, à M. Guizot ; il doutait toujours d’un régime qui lui paraissait plus que jamais destiné à finir comme il avait commencé, par une révolution. Il ne faisait rien, il ne préservait rien avec sa politique.

Une autre de ses illusions était de croire que les malheurs qu’il pronostiquait toujours pour les autres ne l’atteindraient pas lui-même, que l’empire d’Autriche resterait du moins intact dans sa force, dans son immobilité. Ce n’était qu’une chimère de plus. Pendant qu’il se flattait encore d’échapper aux orages, les événemens se précipitaient tout à coup. Le 24 février 1848, une révolution nouvelle éclatait en France ; et, dans le premier moment, le ministre autrichien écrivait encore : «… Vous savez ce que, dans tous les temps, j’ai pensé de la solidité du trône de Juillet ; je ne suis pas surpris de sa chute. Ce que je n’avais point regardé comme probable, c’est que la France n’aurait pas la force, — ou la patience, qui aussi est une force, — d’attendre la mort de Louis-Philippe… » A la bonne heure ! la catastrophe de la monarchie de Juillet n’était pas pour le surprendre ; mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que cette révolution de France allait être sitôt suivie de la subversion de l’Allemagne, d’une révolution à Berlin, et, avant même l’explosion de Berlin, d’une révolution en Autriche. Dès le 13 mars, en effet, la sédition populaire, après une lutte sanglante, restait maîtresse de vienne, imposant ses conditions à l’empereur, menaçant le chancelier. En quelques heures, du jour au lendemain, — à Vienne aussi bien qu’à Paris, — tout était fini, et le ministre naguère encore si puissant, maintenant trahi, délaissé dans sa disgrâce par les flatteurs, n’avait plus qu’à se dérober aux fureurs de la multitude ameutée ; il se voyait réduit à s’enfuir furtivement, sous la garde de sa femme, qui dit d’un accent pathétique