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m’aient permis d’aborder ce sujet, avec un degré de plus dans l’expérience nécessaire à l’homme pour savoir apprécier les faits suivant une mesure juste et les qualifier sainement, mais je déplore mon impuissance à peindre d’aussi grandes choses.

Voici avant tout l’explication théorique du cyclone. Dans notre hémisphère et sur l’Atlantique, un tourbillon plus ou moins circulaire se forme dans la région tropicale au nord de l’Equateur ; il marche d’abord vers le nord-ouest, rase ou balaie les Antilles et le sud des États-Unis en s’inclinant vers le nord ; puis, obliquant encore jusqu’au nord-est, il vient se fondre dans l’espace qui sépare Terre-Neuve de l’Angleterre. La vitesse de translation qui anime ces tourbillons n’est pas la même pour tous ; elle varie entre 22 milles et 5 milles par heure. Le tourbillon lui-même est formé de rafales terribles qui se meuvent invariablement de droite à gauche autour d’un axe central représenté par une étroite région où le calme est absolu, avec des lames énormes venant de toutes les directions, et qui s’entrechoquent furieusement. Le principal effort des marins, quand un cyclone les menace, doit donc avoir pour but de fuir cette ligne que le centre parcourt, et que les premiers symptômes permettent de déterminer. Certaines tempêtes ou perturbations atmosphériques, dont l’effet parvient jusque sur nos côtes, appartiennent à la catégorie des tourbillons ; mais les cyclones présentent une violence beaucoup plus grande et concentrée sur une aire moins étendue.

Toutefois, les deux premières étapes du voyage, soumises à des fortunes diverses : calmes et vents contraires pour l’une, brouillards et fortes brises dans une région d’icebergs pour l’autre, se terminèrent au mieux, le 5 août, dans la baie Saint-John, capitale de Terre-Neuve.

Chaque jour de notre relâche, je contemplais avec une jouissance émue la petite goélette profilant ses lignes gracieuses sur les eaux vertes d’une baie d’Amérique, après nous avoir vaillamment transportés d’une rive à l’autre de l’océan. Puis, dans la pénombre où s’éteignent les souvenirs d’autrefois, une sensation ardente marquait vivement ces joies et ces tristesses qui jalonnent l’existence ; comme après une journée chaude, des éclairs illuminent au loin le contour des orages passés. Le frêle navire grandissait alors dans mon sentiment de toute la mélancolie qui naissait autour de moi.

Un capitaine ressent pour son vieux bateau quelque chose comme une vieille tendresse. Lancés tous deux, jeunes et fringans, sur les eaux changeantes de la vie, ensemble ils ont couru mille dangers, ensemble ils reviennent au pays. Et quand, plus tard, usés par les mêmes rafales, l’un pourrit au fond du port, le capitaine décrépit vient chaque jour, en face de la vieille coque, pour glaner des souvenirs,.. des tristesses bien souvent.