Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sa Poétique même sa Logique, ou le fameux Organon, le grand instrument dont le moyen âge et une partie des temps modernes se sont tant servis. Quel homme que celui dont Kant et Hegel ont pu dire : « Depuis Aristote, la science de la pensée n’a fait ni un pas en avant ni un pas en arrière. »

Aristote embrassa donc, comme son maître, dans une théorie systématique, l’ensemble des choses, mais en sacrifiant moins que lui le réel à l’idéal. Il saisit puissamment le monde des faits contingens, et mérita, par la haute portée autant que par le caractère encyclopédique de ses ouvrages, d’être appelé, comme il l’est par les Arabes, le précepteur de l’intelligence humaine. Il fonda, après Hippocrate, la méthode d’observation, puissant agent de découvertes; mais il la soumit à la pensée qui analyse et compare, qui trouve les principes et proclame les conditions de la vie : ici simples, là compliquées, suivant que l’organisme se développe; fatales au dernier degré de l’échelle des êtres, libres et morales dans l’homme, mais dominées encore, dans cette sphère plus haute, par la cause première qui communique à l’univers le mouvement et la vie. Soit prudence, soit habitude de langage, lui aussi par le des dieux, mais sans vouloir discuter ce qu’il appelle des traditions fabuleuses. «Les substances incréées et impérissables, dit-il, sont hors de notre portée, et nous ne pouvons savoir d’elles que bien peu de choses, » ce qui, au fond, voulait dire que nous n’en savons rien.

Dans sa Métaphysique, il a écrit, en opposition au dieu du Timée, qui, pour Platon, est le grand architecte du monde, des paroles qu’on a trouvées fort belles, quand on a cru les comprendre. Les historiens, qui n’aiment pas à entrer dans ces obscures profondeurs, préfèrent des formules plus simples. Le dieu d’Aristote n’est pour eux qu’un premier moteur indifférent à l’homme, ne le soutenant point de sa providence et ne lui assurant pas une vie à venir récompensée ou punie. Le platonisme était presque une religion, et il a aidé à en faire une; Aristote se passe d’un dieu providentiel et de la vie future. Pour lui, l’âme, principe de la vie intellectuelle et physiologique, n’existe pas sans le corps; et aux habitudes de la contemplation sans fin de la souveraine intelligence, il préfère les ravissans plaisirs de la pensée savante. Il ferme donc ou voile les larges horizons que Platon avait ouverts. Pourtant, il reconnaît à la nature, qu’il appelle divine, une sorte d’action providentielle, puisqu’il déclare, dans le beau passage qui termine le premier livre des Parties, que toutes ses œuvres ont un but, et que jamais elle n’a rien fait en vain. Aussi voit-on dans la Métaphysique l’admiration profonde que lui causent les grands phénomènes de la terre et des cieux. Si la lettre à Alexandre était de lui, on y trouverait comme