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royaume-uni son fils Nathaniel, lord Rothschild, le premier Israélite appelé à siéger à la chambre haute.


VII

A l’époque où Nathan Rothschild s’établissait à Londres, fondait sa maison de banque et profitait de ce courant qui, suivant l’expression anglaise, s’offre à chaque homme et, saisi à temps, le mène infailliblement au succès, Thomas Brassey, emporté par le sien, réalisait en peu d’années une des plus grandes fortunes du commencement de ce siècle. Né en 1805, à Buerton, dans le Cheshire, d’une famille honorable, Thomas Brassey, plus ambitieux encore de réputation que d’argent, comprit de bonne heure le rôle important que les voies ferrées étaient appelées à jouer dans le mouvement commercial et industriel qu’inaugurait l’Angleterre. Il se lia avec George Stephenson, le grand ingénieur, d’une étroite amitié, et débuta sous ses auspices.

Tout était à créer. Nos armées modernes de terrassiers, rompus à ce genre de travail, n’existaient pas alors ; il fallait recruter dans les champs, dans les mines et dans les ports, des équipes de manœuvres inexpérimentés, surveiller l’exécution de leur tâche, former des chefs capables de les diriger. La nature du sol, les courbes et les rampes, le degré de résistance des matériaux employés, le percement des tunnels, le creusement des tranchées, la consolidation des remblais, autant de problèmes qui s’imposaient successivement à l’ingénieur, qu’il lui fallait résoudre promptement, toute erreur entraînant de grosses pertes, et les précédens faisant défaut. Puis, la construction de ces premières voies ferrées exigeait un matériel énorme. Pour le transporter sur les chantiers, on n’avait pas, comme aujourd’hui, la ressource de voies latérales ; force était de s’assurer une cavalerie nombreuse, des wagons et des prolonges en quantité considérable pour charrier les terres, pourvoir au déplacement, à l’approvisionnement des ouvriers.

Sous la direction de George Stephenson, Thomas Brassey se voua à l’étude de ces questions nouvelles. Son intelligence alerte et prompte s’aiguisait au contact de ces difficultés sans cesse renaissantes dont ses heureuses suggestions finissaient par avoir raison. Non sans peine il réussit à créer, dans cette armée ouvrière, un corps de sous-officiers capables, choisissant parmi ses meilleurs manœuvres ceux qui pouvaient diriger une équipe, les encourageant à prendre à leur compte, à prix débattu, des tronçons de ligne, s’affranchissant ainsi et peu à peu d’une surveillance minutieuse qui absorbait son temps. Pourvu d’un état-major