Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compétent, il étendit le cercle de ses occupations et, en 1845, il était devenu le plus grand entrepreneur du monde ; outre ses contrats avec l’Angleterre, il en avait soumissionné en France, en Autriche, au Canada, aux Indes, et l’on peut se faire une idée de l’énormité de ses entreprises par ce fait qu’il avouait lui-même avoir exécuté pour 160 millions de livres sterling, 4 milliards de francs, de travaux.

Il fut pourtant une heure dans sa vie où sa fortune faillit crouler, où il n’échappa à la ruine et ne conjura un redoutable désastre financier qu’à force de volonté et d’énergie. C’était en 1866, au moment même où il poursuivait simultanément en Angleterre, en Autriche et en Pologne, l’achèvement de ses lignes les plus importantes. Il remuait alors des capitaux gigantesques. La plupart de ses contrats étaient payables après livraison et réception des voies. Sur quelques-unes, il avait à toucher, à bref délai, 75 millions de francs ; pour d’autres, on devait le payer en actions. Sur la ligne de Barzow à Russcow, il était en perte de plus de 1 million ; en Autriche, ses avances mensuelles dépassaient 1 million 1/2 ; aux Victoria-Docks, il lui était dû, les travaux achevés, une somme considérable ; en Pologne, il avait de fortes avances à faire avant de recevoir et réaliser ses actions. Deux coups terribles le frappèrent à la fois. La maison de banque de sir Morton Peto, Betts et Cie, à laquelle il était associé et qui lui fournissait ses fonds, suspendait ses paiemens. Presque à la même heure, la guerre éclatait entre l’Autriche et la Prusse. Une panique financière se déclarait à Londres ; l’intérêt des avances sur dépôts de titres montait subitement à 12 pour 100.

Un examen rapide de sa situation le convainquit qu’il allait se trouver hors d’état de faire face à ses engagemens. Une seule chance lui restait : devancer la date de l’achèvement de sa ligne en Autriche. Ses autres contrats ne lui offraient que des ressources à plus longue échéance, et la voie autrichienne absorbait, à elle seule, des avances égales à celles qu’exigeaient toutes les autres réunies. S’il réussissait, il s’allégeait promptement de ces déboursés, recouvrait son cautionnement de 3 millions et recevait de suite un acompte de 30 millions qui lui permettait de parer à tout. Mais la ligne qu’il construisait en Autriche traversait le champ d’opérations des armées belligérantes, et les troupes allemandes manœuvraient en vue d’intercepter les communications. A l’extrémité opposée de la ligne, plusieurs milliers de terrassiers étaient à l’œuvre, hâtant les travaux, qu’il poussait avec une activité fiévreuse. Leur paie était due ; si elle n’était pas réglée à jour fixe, ils menaçaient de se mettre en grève. C’était la ruine pour lui. Il ne