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par la grande route en deux heures. On peut aussi passer par la vieille route dite la Ramasse, qui rachète l’inconvénient d’une pente plus rapide par des bois et des prairies qu’elle traverse. Du col, la vue s’étend sur la plaine de la Madeleine, dont la longueur est de 7 kilomètres sur 1 de largeur. Ouverte du nord-ouest au sud-est, protégée au nord par l’énorme massif de Ronche, cette admirable plaine jouit d’une température beaucoup plus douce qu’on ne saurait l’attendre de son élévation. Souvent, après avoir rencontré au passage du col des brouillards glacés ou subi des tourbillons de neige et de vent, le voyageur est agréablement surpris de trouver plus loin un beau soleil et une température printanière, qui permet aux plus séduisantes fleurs de s’épanouir sur sa route. — En descendant du col, on gagne les bords du lac, le plus grand des Alpes. Il a plus d’une heure et demie de tour ; son altitude est à 1,913 mètres, à 152 mètres au-dessous du point le plus élevé du col. Il se divise en deux réservoirs d’inégale grandeur ; le plus petit donne naissance à la Cenise, qui va près de Suze rejoindre la Petite-Doire, dont les eaux se jettent dans le Pô au-dessous de Turin. On pêche dans ses eaux, d’une merveilleuse limpidité, d’excellentes truites saumonées, qui s’expédient en majeure partie sur cette ville. Graminées et cypéracées abondaient dans ces lieux ; je leur donnai toute l’attention possible, et je rentrai à l’hospice vers midi, pour reprendre bientôt ma course sur la rive méridionale du lac, où se confondent bois, coteaux et prairies marécageuses. Quand on a dépassé la Cenise, on pénètre dans un petit bois de bouleaux, refuge de bon nombre de plantes alpines, telles que l’ancolie des Alpes, la plus grande fleur des hautes régions, la sisymbrée à feuilles de tanaisie, la fétuque jaunâtre, espèce méridionale dont le Mont-Cenis est la dernière limite. En sortant du bois, j’avise sur un plateau sec des épervières au jaune ardent (hiéracium sabinum, h. aurantiacum), la centaurée uniflore au duvet blanchâtre, la campanule barbue. Au bas du plateau s’étendent de vastes parties marécageuses dans lesquelles je distingue cinq à six espèces de saules alpins, et par-dessus tout, la fameuse saussurée des Alpes, qui est ici en grande abondance. L’arabette d’Allioni, la luzule pédiforme, viennent couronner mes investigations dans ces marécages, qui touchent à de magnifiques prairies parsemées de nombreux chalets, où se fabriquent les fromages du Mont-Cenis, très recherchés à Turin. La floraison de ces prairies en plein soleil de juillet dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Et qui n’a pas été témoin d’un pareil spectacle ne peut rien comprendre aux merveilles de la végétation des Alpes. Les diamans de cet admirable tapis renferment la violette éperonnée, bleue et jaune, la renoncule des Pyrénées, le