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l’hospice, on traverse le pont de la Ronche, et de là, sur la gauche du torrent, on avise un petit sentier qui aboutit aux graviers de Ronche, vaste plaine couverte de cailloux schisteux et circonscrite de tous côtés par des sommets élevés. En gravissant sur sa droite une pente herbeuse, on rencontre d’abord le pâturage de Ronche, auquel succède bientôt un grand plateau connu sous le nom de Plan des jumens. Plus haut viennent des arêtes sans fin, au milieu desquelles s’étalent quelques vallons d’une maigre végétation, et, en dernier ressort, le glacier de Ronche, dominé par la cime pyramidale de Roche-Michel. De cette sommité, on ne découvre aucun point de la plaine du Mont-Cenis, mais, en revanche, on jouit du magnifique relief de la chaîne des Alpes joint à une vue féerique des plaines de la Lombardie. L’ascension de la Roche-Michel exige cinq heures de marche à partir de l’hospice.

Sur les pentes rocailleuses de la montagne apparaissent d’intéressantes espèces qui n’ont pas échappé aux recherches des botanistes italiens. La petite potentille, l’anthyllide d’Allioni, l’espèce la plus rare de cette région, qui revêt une physionomie toute spéciale par la densité de sa pubescence, le séneçon blanc, l’épervière glandulifère, la véronique d’Allioni, la pédiculaire du Mont-Cenis, la fétuque variée, forment une colonie exceptionnelle. D’autres espèces occupent les parties les plus élevées et complètent les richesses de la flore de Ronche. Je cite comme se prélassant dans ces sommités : l’armoise des glaciers, l’armoise en épi, la potentille neigeuse, la campanule du Mont-Cenis et surtout la campanule d’Allioni, si remarquable par la grandeur de sa corolle, la potentille des glaciers, toutes plantes rares qui recommandent à un haut degré le territoire de Ronche.

Je rentrai à l’hospice à sept heures du soir, enchanté d’une course à laquelle je devais toutes les joies promises à l’investigateur d’un pays nouveau. Le prieur me félicita de ma campagne ; il voulut voir et toucher ces plantes qui m’avaient procuré tant de satisfaction. Leur histoire devint en grande partie l’objet de la conversation de toute notre soirée. Nous n’étions que trois à la table de la salle à manger, et l’heure avancée de la nuit ne pouvait mettre un terme à notre causerie.

Le lendemain, course au col du Mont-Cenis par la grande route. Avant d’y arriver, je passe devant quatre ou cinq habitations connues sous le nom de hameau des Tavernettes, qui fréquemment disparaissent sous la neige pendant l’hiver. On y trouve la vieille Auberge de la Poste, qui fut, en 1787, pendant cinq jours, le refuge de Saussure et de son fils. Le col est la frontière actuelle de la France ; son altitude est à 2,000 mètres. De Lanslebourg on y monte