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l’Autriche ? Cherchez secours près de ceux qui sont forts ! » Au reste, il n’a pas grande envie de paraître sur la scène politique. Il trouve juste de laisser aux gouvernemens le soin de diriger les affaires intérieures de l’Allemagne.

En revanche, dans la question du Slesvig-Holstein, Dahlmann prend hardiment l’initiative. Les Danois ont pu dire, sans trop d’invraisemblance, qu’il l’avait inventée. Il a déployé là une patience et une ingéniosité à toute épreuve. C’est un des épisodes les plus curieux de l’histoire de notre siècle. Il montre sur le vif les procédés de la science allemande mise au service des intérêts politiques de la nation. On sait que le roi de Danemark, souverain des duchés de Slesvig et de Holstein, faisait partie de la confédération germanique pour le Holstein seulement. Le Slesvig n’était pas compris dans le territoire de la confédération. Dahlmann, qui était né à Wismar, et qui passa dix-sept années de sa vie à Kiel comme professeur et publiciste, résolut de corriger cette anomalie. Il exprima le premier l’opinion que, le Slesvig et le Holstein étant unis, le Slesvig devait suivre la condition du Holstein et appartenir comme lui à l’Allemagne. Dahlmann mit à répandre cette idée un zèle infatigable. Elle avait été suggérée, il est vrai, au congrès de vienne, mais sans succès. De l’aveu même de M. de Treitschke, elle n’avait pas trouvé d’écho dans les duchés. « On n’y savait qu’une chose, dit-il, c’est que, depuis des siècles, on était uni au Danemark, et l’on pensait naïvement que les habitans du Holstein, ceux de Seeland, ceux de l’Islande, étaient tous également de fidèles Danois. » Dahlmann entreprit de persuader aux habitans des duchés qu’ils se trompaient et que leur loyalisme devait s’adresser non au roi de Danemark, mais à la patrie allemande. Il exploita habilement des difficultés qui s’élevèrent entre la noblesse du pays et le gouvernement danois. Il ne s’agissait pas de revendiquer des provinces arrachées à la mère-patrie par la violence des armes, et toutes frémissantes encore de leur nationalité perdue. La tâche était bien plus difficile : il fallait regermaniser un pays danois depuis des siècles, et qui ne se plaignait point de l’être. Dahlmann se servit avec une égale habileté du livre et du journal. L’histoire du SIesvig-Holstein devint sous sa plume la démonstration sans cesse répétée de sa thèse politique. Les habitans des duchés, par leur langue, leurs antiquités nationales, leur poésie, leurs mœurs et leur caractère, appartiennent évidemment à la race germanique : d’où cette conclusion, appuyée d’argumens juridiques, qu’en bon droit les duchés doivent tous deux appartenir à l’Allemagne. L’idée de Dahlmann fut d’abord accueillie assez froidement dans les duchés ; mais dans toute l’Allemagne elle eut un retentissement