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d’état. L’expérience amère de 1848 lui profita bien mieux qu’à Gervinus. Ce dernier, au moment de la guerre d’Italie, sent se réveiller ses anciennes passions. Il veut, encore une fois, fonder un journal, pour agir sur l’esprit public et sur les gouvernemens en Allemagne. Dahlmann l’en dissuade fort sagement, et lui explique que le temps en est passé, a Les meilleurs conseils du monde, écrit-il, venant de quelqu’un qui n’a pas la force à sa disposition, ne peuvent plus nous être utiles ; il faut auparavant qu’un maître s’affirme, d’où qu’il vienne. » Lorsque les plus sages esprits en sont là, le maître qu’ils attendent n’est jamais long à venir. Moins de dix ans après que Dahlmann eut écrit ces mots, la Prusse Victorieuse dominait en Allemagne.


IV

Ainsi Dahlmann constate, non sans mélancolie, mais avec résignation, l’impuissance des efforts qui ont rempli sa vie et celle de Gervinus. Ils se flattaient d’aider à la transformation de l’Allemagne et de la conduire sans grande secousse à la liberté et à l’unité ; ils se sont heurtés à des obstacles insurmontables. La désillusion de 1848 a été complète. Elle leur a laissé un découragement profond. Ils ne désespèrent pas des destinées de l’Allemagne ; mais ils ne croient plus au pouvoir des idées ni au progrès politique obtenu par la seule persuasion. L’avenir leur paraît très noir. Gervinus, par dépit, se jette du côté de la démocratie. Dahlmann, toujours conservateur, s’incline par avance devant celui qui saura, par la force, faire l’unité de l’Allemagne, fût-ce au prix de la liberté. Les causes de leur échec étaient nombreuses. Nous en avons signalé plus d’un chemin faisant. Les unes tiennent aux idées, aux tendances, aux habitudes d’esprit de ces savans, dépaysés dans la vie politique. D’autres, plus générales, rendaient impossible le succès de l’entreprise, quelle qu’eût été l’habileté de ceux qui la tentaient.

Mais au contraire ils sont, pour la plupart, d’une inexpérience, on dirait presque d’une naïveté politique parfaite. On pourrait leur appliquer le mot que Gervinus écrivait très sérieusement à Dahlmann : « Vous êtes incommensurable ! » Ils sont fort en peine de réaliser l’unité de l’Allemagne ; ils le seraient encore davantage de lui procurer la liberté. Ne pouvant obtenir séparément ni l’une ni l’autre, ils s’imaginent qu’ils obtiendront l’une par l’autre. Aussi, au premier choc de la réalité, leurs illusions s’effondrent. En 1848, à la faveur des événemens de février, un parlement se réunit à Francfort. Cette assemblée, si, longtemps attendue, prétend représenter la nation allemande. Elle se dit constituante, et elle