Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commence en effet à élaborer une constitution. Elle n’a oublié qu’un point : qui imposera cette constitution aux différens états de l’Allemagne ? Qui en assurera le respect ? Comparez les débuts du parlement de Francfort à ceux des états-généraux de 1789. Dès que l’assemblée de Versailles a pris conscience d’elle-même, dès qu’elle a conçu son œuvre, comme elle va droit au but et force le roi lui-même à reconnaître le pouvoir qu’elle veut exercer ! Imagine-t-on la constituante délibérant en l’air et légiférant à vide, sans savoir si ses lois ne resteront pas lettre morte ? C’est que, en 1789, l’unité française était depuis longtemps accomplie. En 1848, l’unité allemande n’était qu’une espérance. Les hommes politiques qui provoquèrent la réunion du parlement faisaient précisément de l’unité le but suprême de leurs efforts. Mais, en commençant par le travail législatif, ils s’y prenaient à rebours. Ils espéraient apparemment que la constitution, une fois votée, aurait par elle-même la vertu de se faire accepter et observer, et que l’esprit particulariste disparaîtrait devant elle. L’illusion était naïve. Il existe bien aujourd’hui un empire d’Allemagne ; mais cet empire, comme chacun sait, ne doit pas sa naissance à des travaux parlementaires.

A vrai dire, si l’œuvre était au-dessus du talent de ses promoteurs, elle était plus encore au-dessus de leurs forces. Elle n’impliquait rien moins qu’une révolution. Sans doute, ils faisaient profession de respecter tous les droits historiques : mais si les représentans de ces droits s’opposaient opiniâtrement à l’unité de l’Allemagne, — et cette résistance était inévitable, — comment en viendraient-ils à bout ? — Ces législateurs étaient sans force. Ils ne pouvaient, comme la Convention, se transformer en pouvoir exécutif. Il aurait fallu, soit provoquer un grand mouvement populaire, soit demander à la Prusse ou à l’Autriche un appui qui devait coûter cher. En 1789, la plus grande partie du peuple français était de cœur avec l’assemblée qui pouvait à bon droit se nommer nationale. Cette assemblée n’aurait pu, si elle l’eût voulu, se dérober à sa mission. La nation se tenait derrière elle, pour l’encourager et pour la pousser au besoin. Mais en 1848, en Allemagne, si l’on excepte les classes instruites et la population de quelques grandes villes, la masse du peuple restait assez indifférente aux travaux de l’assemblée de Francfort. Elle les suivait avec curiosité, mais non avec la sympathie, avec l’enthousiasme, qui auraient éclaté, si les espérances les plus chères au peuple allemand avaient pu vraiment se réaliser dans l’église Saint-Paul. Elle semblait comprendre, avec un sens profond, que ce n’était pas l’histoire vraie qui s’accomplissait là, mais une parodie de l’histoire, jouée par des acteurs de bonne foi.

Comme ces acteurs avaient été, pendant longtemps, les seuls à parler en Allemagne, ils s’étaient imaginé parler au nom de toute