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les bouddhistes pratiquaient la communauté des biens, l’aumône, l’amour de la vérité, la pureté dans les actions, dans les paroles et dans les pensées. Ils proclamaient l’égalité des hommes, proscrivaient l’esclavage et remplaçaient la discorde par la charité. Tous enfin, sous un nom ou sous un autre, attendaient un messie, révélateur et sauveur, en qui serait incarnée la Parole.

Pourquoi fait-on des esséniens, plus que des autres sectes, le canal par où les idées indo-persanes passèrent au christianisme ? Ce n’est pas seulement parce que leur secte était plus nombreuse que les autres et avait un ensemble de dogmes et d’institutions plus complet. C’est surtout parce que les premiers chrétiens étaient esséniens et en portaient le nom ; parce que leur résidence principale était la Galilée, en opposition avec Jérusalem ; enfin parce que Jean-Baptiste était essénien, que Jésus lui-même était appelé Galiléen, et qu’en recevant le baptême des mains de Jean il s’affiliait à la secte des baptiseurs, des esséniens. C’est seulement au temps où saint Paul fut martyrisé à Rome qu’on donna le nom de chrétiens à ceux qu’auparavant on nommait jesséens, esséens, c’est-à-dire esséniens ou thérapeutes. Cette identité est nettement établie par Eusèbe ; elle l’est aussi, quoique moins clairement, par Philon et Josèphe. Mais lors même que tout témoignage de ce genre ferait défaut, l’identité des dogmes, des institutions, des coutumes, démontrerait la filiation orientale du christianisme, telle que les recherches de ces trente dernières années l’ont rétablie.

Considérant cette transmission des dogmes comme démontrée, je suis à présent moins frappé des analogies que des différences entre le christianisme et les religions orientales. C’est ce qui est arrivé déjà pour la linguistique : quand on a connu le sanscrit, tout le monde s’est écrié : « Voilà la source du grec, du latin et de nos propres langues. » Ensuite on a vu les différences, et l’on a cherché l’origine du sanscrit et les causes de cette diversité. Que le christianisme soit issu des religions de l’Asie, et principalement du bouddhisme, on peut regarder ce fait comme démontré. Mais le problème des origines du bouddhisme est loin d’être résolu, et la différence de la religion du Bouddha et de celle des chrétiens demande une étude particulière. Je ne puis en tracer ici que les principaux linéamens.

Que l’on compare en quelque sorte terme à terme la vie du Bouddha et celle de Jésus et qu’on les résume. On trouvera qu’elles se partagent en deux : la légende idéale et les faits réels. Il n’est pas toujours facile de dire où finit la légende, où commence la réalité. Mais écartons pour un moment les détails d’une physionomie douteuse ; on reconnaît alors que les deux légendes se confondent