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quatre-vingts ans, sans avoir subi les outrages de la vieillesse, en plein air, entouré de ses plus chers disciples, il se coucha paisiblement sur le côté droit et s’endormit dans la mort. Avant qu’il entrât ainsi dans le nirvâna, on lui avait demandé comment il voulait être enseveli ; il avait répondu comme plus tard Porus à Alexandre : « En roi, » et des honneurs funéraires sans exemple lui furent rendus.

Jésus aussi avait prêché la charité et la douceur ; mais il ne trouva en retour que la haine, les conspirations, la trahison et le dernier supplice. Des mages étaient, disait-on, venus lui rendre hommage à sa naissance ; des bergers l’avaient adoré ; Siméon avait reconnu en lui le Messie ; un ascète essénien lui avait donné le bain d’initiation. Mais il prêchait une doctrine « toujours combattue » par les Juifs ; les prêtres de Jérusalem, les princes d’Israël, les femmes de la cour, les pharisiens eux-mêmes, dont les doctrines se rapprochaient de la sienne, enfin le peuple juif, ne virent en lui qu’un blasphémateur et un ennemi. Sa vie fut abrégée, sa prédication ne dura que trois ans, après lesquels il succomba. Le bouddha prêcha en pays ami une réforme morale, dont le caractère social ne se montra pas aussitôt. La carrière de Jésus a tous les caractères d’un apostolat en pays ennemi.

Je ne puis, sans dépasser les bornes de cet exposé, dire par le détail comment la légende bouddhique fut appliquée à Jésus. Elle le fut durant sa vie et après sa mort ; elle l’était déjà, au moins en partie, avant sa naissance. On comprend que rien n’était plus facile ni plus naturel, après un essai héroïque de régénération humaine terminé par la « mort de la croix. » La théorie était faite et se transmettait depuis longtemps dans les associations nommées ci-dessus. La légende existait aussi, répétée dans toute l’Asie depuis plusieurs siècles. Eusèbe dit que les écrits des thérapeutes, esséniens d’Egypte, ont été utilisés dans la rédaction des évangiles et des épîtres de saint Paul. Les disciples et les sectateurs du Sauveur ne pouvaient pas voir en lui autre chose que ce qui s’y trouvait déjà. Seulement, l’élément judaïque ajoutait une chose à la théorie orientale, la qualification de Fils de Dieu. Toutes les parties de la doctrine théorique furent au reste controversées pendant plus de trois siècles et suscitèrent une infinité d’hérésies. Elle ne reçut ses formules définitives qu’en 325, au concile de Nicée, lorsque Constantin, nouvel Açôka, eut accepté la religion chrétienne.

Son édit de Milan, qui est de l’année 313, ne fut pas le triomphe -complet du christianisme ; mais il le prépara, en le plaçant dans les mêmes conditions que les autres cultes reconnus. Les religions païennes tombaient d’elles-mêmes par leur propre insuffisance. La politique de Constantin, comme autrefois celle d’Açôka, obligeait le