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il donne toute son approbation : « Un bon cheval et un mauvais veulent de l’éperon ; une bonne femme et une mauvaise veulent du bâton. » En somme, il les regarda comme des créatures inférieures, qui ont, par conséquent, un mérite extraordinaire à bien faire, mais doivent, si elles font mal, être aisément excusées. Tel est le fond de la morale relâchée du Décaméron. Mais il aurait dit d’elles, comme Érasme : « Un animal inepte et fou, mais au demeurant plaisant et gracieux. »

C’est un trait de son talent de les avoir mieux connues et mieux décrites qu’aucun autre auteur du moyen âge. Il faut arriver au XVIIIe siècle pour trouver, sinon des caractères féminins aussi ingénieusement étudiés, au moins une description aussi détaillée de la beauté et de l’ajustement des femmes. Les traits dont il les peint forment d’ensemble un véritable type de beauté gracieuse et vivante. Mais ce type ne ressemble en rien aux figures de femmes qu’on voit dans les peintures de la même époque. Il est tout idéal.

Le costume est plus idéal encore. Les ajustemens du moyen âge étaient étroits et compliqués. Le goût de Boccace, au contraire, est pour une sorte de libre simplicité : il aime les robes flottantes, sans manches, largement ouvertes au cou, fendues sur les côtés et retenues seulement par quelques nœuds espacés, les manteaux fixés sur l’épaule gauche, passant sous le bras droit et tombant un peu plus bas que la taille. Ce sont là les vêtemens d’une nymphe de Virgile, non d’une Italienne du XIVe siècle.

Mais cette dame virgilienne devient toute naturelle et vivante dès qu’elle est à sa toilette. Boccace ne se lassera pas de décrire des toilettes. S’il préfère les simples ajustemens antiques que j’ai dits, il s’occupe pourtant de toutes les modes, et son esprit curieux, et toujours avide d’images sensibles, prend plaisir à toutes. Il fait mention des modes flamandes, anglaises, cypriotes, grecques, arabes. Il blâme l’indécence des robes d’Alexandrie. Il reproche aussi (et nous verrons qu’il est moraliste à ses heures) l’immodestie des costumes masculins de son temps : car l’antique robe italienne, aux plis droits, faisait alors place aux pourpoints ajustés et aux chausses collantes à la française. D’un autre côté, comme il voit souvent les choses sous un biais satirique, il se plaît à décrire tous les artifices de la coquetterie. Je ne pense pas que notre temps connaisse plus d’onguens et de fards pour la peau, d’essences et de teintures pour les cheveux. Ce sont des inventions de toute sorte, des recettes mystérieuses, de petits fourneaux, de petits alambics, des brosses, des spatules, des fioles. Il faut lire, au Corbaccio, le récit du mari qui s’englua les lèvres pour avoir embrassé sa femme avant qu’elle fût bien séchée.

Par ces détails de vie matérielle, on aperçoit le grand raffinement