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Bienveillant, modeste, probe, esclave du devoir, il a partout inspiré le respect. Il n’a fait que le bien dans sa longue et vaillante existence, simplement, sans ostentation, sans garder le souvenir des services rendus. — « Les belles actions cachées, a dit Pascal, sont les plus estimables ; mais le plus beau, c’est de les avoir voulu cacher. » Tous ceux qui ont eu le bonheur de servir sous ses ordres ont été l’objet de sa constante et efficace sollicitude. Notre collaboration, interrompue brusquement par de dramatiques événemens, a été la chance heureuse de ma carrière. Elle m’a valu une amitié précieuse, l’honneur et le charme de ma vie, qui, depuis quarante années, à travers toutes les vicissitudes, ne s’est jamais démentie.

Les nouvelles de Paris devenaient chaque jour plus inquiétantes. L’opposition avait trouvé un thème : l’adjonction des capacités, pour s’en faire une arme contre le ministère, et la révolution s’emparait de la question des banquets pour renverser la monarchie.

L’Europe suivait nos débats avec une fébrile attention ; elle était en proie à de sourdes agitations : les germes de 1789 fermentaient partout, entretenus par la presse et la tribune française ; c’est dans une suprême convulsion qu’ils devaient éclore. Les peuples se sentaient mûrs pour la liberté et l’affranchissement ; ils n’attendaient que notre signal pour se soulever. Les prophéties annonçaient que les temps étaient proches. — « Les neiges, s’écriait, le 5 février, un député dans la chambre badoise, ne seront pas fondues, et vous verrez l’orage éclater dans un pays voisin, s’abattre sur l’Allemagne, et ébranler tous les trônes ! »

Quinze jours après, la république était proclamée en France, et l’Allemagne se jetait à sa suite dans la voie révolutionnaire. Dès le lendemain, des assemblées populaires délibéraient en tumulte sur tous les points de la confédération. Tous les élémens de désordre qui grondaient sourdement se déchaînaient ; un avenir inconnu, rempli d’espoir et de menaces, s’ouvrait soudainement aux imaginations.

Le 27 février, le duc de Bassano, sans attendre les communications du gouvernement provisoire, quittait Cassel. Je voulais partir avec lui ; il s’y refusa. — « vous êtes au début de votre carrière, me disait-il, vous n’avez aucune attache avec les partis, votre devoir est de rester à votre poste, de servir votre pays et d’attendre les ordres du département dont vous relevez. »

C’était le langage de la raison et du patriotisme. Les diplomates, à moins qu’ils ne soient redevables de leur situation à la faveur du souverain ou aux influences de la politique, ne sont pas des hommes de parti ; ils représentent les intérêts permanens du pays, ils tiennent les fils de nos traditions extérieures, et les