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gouvernemens, qui se succèdent si rapidement en France, seraient bien embarrassés s’ils ne trouvaient pas dans les cadres du ministère des affaires étrangères un personnel expérimenté pour les guider et les renseigner. C’est à Barthélémy, un ancien secrétaire d’ambassade de la monarchie, devenu comte sous l’empire et pair sous Louis-Philippe, que la France a dû le traité de Bâle, qui détacha la Prusse de la coalition. Sa correspondance, récemment publiée, montre avec quel talent et quelle patriotique sollicitude il renseignait et conseillait la Convention.

L’électeur, du reste, s’était hâté de demander à M. de Lamartine mon maintien à Cassel, par le baron de Schachten, son envoyé à Paris. Il n’aimait pas les visages nouveaux, il redoutait surtout l’arrivée d’un diplomate improvisé frais sorti des barricades ; sa maison brûlait, il se défendait contre ceux qui auraient pu être tentés d’attiser le feu.


VI

La révolution de février avait éclaté depuis plusieurs jours, et personne ne s’en doutait encore à Cassel. Les télégraphes optiques ne fonctionnaient plus, et, faute de chemins de fer, les lettres n’arrivaient que par la voie lente des diligences de l’administration des postes, dont les princes de Thurn-et-Taxis, depuis leur origine, exploitaient le monopole. L’émotion fut profonde lorsqu’on apprit que, dès les premières nouvelles de Paris, le grand-duché de Bade s’était soulevé, et que l’agitation dans toute l’Allemagne, comme une traînée de poudre, gagnait de proche en proche[1].

  1. Dépêche, de Cassel, 1er mars 1848 : — « Le contre-coup de la révolution qui vient de s’accomplir en France se répercute déjà violemment en Allemagne. Les manifestations auxquelles j’assiste depuis quelques jours et celles dont l’écho m’arrive de tous côtés témoignent de la faiblesse des gouvernemens. Les Allemands se sentent mûrs pour la liberté ; ils veulent la conquérir et la situation est telle que les princes seront forcés de la leur concéder. Déjà le grand-duché de Bade a obtenu sans résistance la liberté de la presse, le jury et la garde nationale ; le Wurtemberg demande et obtiendra les mêmes concessions. A Mayence, l’esprit français se réveille avec une intensité que la garnison aura de la peine à contenir. Francfort s’agite, et, à Darmstadt, les députés libéraux ont été jusqu’à demander une représentation générale pour toute l’Allemagne. L’électeur, tout le fait prévoir, aura de mauvais momens à passer. Il ne peut compter sur personne, ni sur la noblesse, ni sur la bourgeoisie, ni même sur l’armée. Dans mes deux dernières dépêches, j’ai longuement exposé la situation du pays ; elle est lamentable. Il n’est pas un gouvernement en Allemagne qui ait accumulé tant de fautes ; aussi tout le monde prévoit des troubles. Ce qui est arrivé en 1830 ne tardera pas à se reproduire, et, sans doute, avec plus d’intensité. Des manifestations se sont déjà produites à Hanau et à Marbourg ; à Cassel des cris de : Vive la république ! se sont fait entendre dans la soirée d’hier. On me dit que des pamphlets contre la personne de l’électeur ont été distribués aux soldats, et que des députations s’annoncent de tous côtés pour venir réclamer la liberté de la presse, le changement des ministres et la dissolution de la chambre. L’électeur ne comprend pas la portée des événemens qui s’accomplissent autour de lui. Plus le danger grandira et plus il se cramponnera au système politique qu’il poursuit avec une imperturbable obstination depuis qu’il est au pouvoir. Il vient de donner à deux escadrons de hussards et à un bataillon d’infanterie l’ordre de marcher sur Hanau. Il ferait mieux de ne pas les éloigner de sa capitale. — Les dernières nouvelles de Berlin dénotent une grande agitation. Le roi de Prusse sera contraint de céder au courant populaire comme les souverains du midi de l’Allemagne. Une lettre de Brunswick m’informe que la population s’est portée devant le palais ducal et qu’elle a demandé des réformes ainsi que le renvoi des ministres. — L’envoyé de Prusse vient de me dire qu’il sait de bonne source que son gouvernement ne fera aucune difficulté pour reconnaître la république française.