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Des rassemblemens se formèrent aussitôt sur la place du Château. On n’entendait que des propos séditieux. On murmurait contre le souverain, on proférait des menaces contre les ministres ; il était question d’en faire bonne justice et de les jeter dans la Fulda. Quelques bourgeois téméraires pénétrèrent chez l’électeur. Mal leur en prit. Il les apostropha, blême de colère : — « Il ne sied pas, leur dit-il, en leur montrant la porte, a des avocats et à des brasseurs de s’immiscer dans les affaires de l’état. » — Avec un sourire aimable, il se serait peut-être tiré d’affaire, car les Hessois, comme certaines femmes battues par leurs amans, ne pouvaient s’empêcher de rester fidèles à leurs maîtres. Mais il n’était pas aimable. Son impertinence mit le feu aux poudres ; la mesure était pleine. Les esprits se montèrent ; les notables indignés, se réunirent à l’hôtel de ville ; ils rédigèrent une adresse polie, mais accentuée. Ils sommaient leur prince ; en termes résolus, de répondre aux vœux du peuple, hautement manifestés. La cour n’était pas préparée à tant d’audace : elle céda à la panique. La comtesse de Schauenbourg, épouvantée, s’esquiva, nuitamment, avec ses neuf enfans et ses économies. Elle chercha un refuge au château de Wilhelmshoe. L’électeur, seul dans son palais, livré à lui-même, reconnut les imperfections de son système ; la nuit lui porta conseil ; il entra dans la voie sage des transactions. Il reçut le lendemain les notables, la bouche souriante, mais le cœur ulcéré, les mains crispées. Il octroya tout ce qu’on lui demandait, mais non pas en bloc de bonne grâce[1] ; on dut lui arracher lambeau par lambeau

  1. Dépêche de Cassel, 7 mars 1848. — L’électeur déconcerte toutes les prévisions. Son caractère hautain, son entêtement, son dédain pour les manifestations populaires autorisaient à craindre des résolutions violentes. On était convaincu qu’il risquerait sa couronne plutôt que de se prêter à la plus légère concession. — On s’était trompé. Il s’est converti à la modération, contre toute attente. Un courrier de Berlin, arrivé hier, et l’attitude de ses troupes, ont produit ce miracle. L’électeur recule devant le danger ; cependant le péril n’est pas conjuré. Des concessions, accordées avec une mauvaise volonté trop peu dissimulée, après de longues tergiversations, ne lui donneront pas la popularité dont il aurait besoin pour traverser indemne la crise qui bouleverse L’Allemagne. »