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d’épilepsie, saisi d’horreur il crache dans son propre sein, comme pour rejeter le malheur de cette rencontre. »

Des traits analogues abondent dans le traité de Plutarque sur la superstition ; quatre siècles de philosophie n’ont pas réussi à diminuer sensiblement le mal. Dans son beau livre sur le poème de Lucrèce, M. Martha a rappelé les passages les plus frappans du traité de Plutarque ; il nous en a laissé quelques-uns à glaner :

« Le superstitieux regarde les maladies, la perte des biens, la mort de ses enfans, les mauvais succès, les refus qu’il essuie dans l’administration publique, comme autant de traits de la vengeance divine. Aussi n’ose-t-il ni corriger les événemens, ni détourner son malheur ou y remédier, de peur de se révolter contre les dieux et de s’opposer au châtiment qu’ils lui infligent. Est-il malade, il ferme la porte au médecin. Est-il dans le chagrin, il repousse le philosophe qui vient le consoler. « Laisse, dit-il, souffrir un malheureux, un impie, objet fatal de la colère des dieux. »

Le superstitieux est capable de tous les attentats ; il est parfois victime de son propre délire. Le héros de la Messénie, Aristodème, entend des chiens hurler comme des loups et voit de l’herbe croître sur un autel domestique ; ce sont présages funestes, il se tue. On connaît par Diodore, et par un roman célèbre, l’abominable holocauste de 500 jeunes enfans des meilleures familles de Carthage, jetés vivans dans la fournaise du Moloch d’airain, pour apaiser les dieux et les rendre propices, après les premières victoires d’Agathocle en Afrique. Les parens qui n’avaient pas d’enfans achetaient ceux des pauvres, et la mère était là, ne pouvant ni verser une larme ni pousser un soupir, car elle n’eût pas reçu le prix convenu, et l’enfant n’en eût pas été moins sacrifié. Les sons de la flûte et d’autres instrumens étouffaient les cris des victimes.

Si je rappelle ces horreurs, c’est qu’elles se passèrent en 309, très peu de temps avant l’époque où Épicure commença d’enseigner. Et si elles se passaient loin d’Athènes, elles n’en avaient pas moins, sans doute, leur retentissement dans la Grèce, que depuis Alexandre surtout, le monde barbare pénétrait de tous côtés, de toutes manières, comme il était pénétré par elle. C’est le temps où les superstitions avilissantes et sanguinaires de l’Orient déshonorent de plus en plus la noblesse native du génie hellénique. De l’Orient étaient venus ces sortilèges, ces charmes magiques, ces bruits d’instrumens, ces purifications impures, ces expiations profanes, ces pénitences illicites et cruelles, ces incisions sanglantes, dont s’indigne Plutarque, et aussi ces mots étrangers, inintelligibles, que le dévot doit prononcer, sous peine de sacrilège, avec la plus minutieuse exactitude, et qui sont une souillure pour la langue, autant