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qu’une offense à la majesté divine et à la sainteté de la religion nationale.

Déjà Platon avait protesté, au nom de la pureté morale et de l’eurythmie philosophique, contre l’exaltation dégradante du culte de Bacchus ; depuis avaient pénétré en Grèce les rites honteux ou lugubres d’Adonis et de la déesse Cotytto. Le flot impur et souvent criminel des superstitions étrangères montait lentement, tantôt en secret, tantôt au grand jour, affolant de terreurs les intelligences débiles, dépouillant peu à peu de leur prestige les divinités lumineuses et généralement bienveillantes de l’antique Olympe, menaçant parfois jusqu’à l’existence même de la société politique. Les esprits les plus fermes se troublent, et craignent, en combattant les pratiques nouvelles, de se rendre coupables d’impiété. On en trouve un curieux témoignage dans le passage célèbre ou Tite-Live raconte les attentats inouïs auxquels se livraient en pleine Rome les affiliés aux bacchanales et l’impitoyable répression qui suivit.

« Rien, dit le consul Postumius, en rendant compte au sénat de ce qu’il vient de découvrir, rien qui soit d’apparence plus trompeuse qu’une fausse religion. Quand la volonté des dieux sert de prétexte aux crimes, une crainte s’empare de l’âme ; n’allons-nous pas, en punissant des forfaits humains, porter atteinte à quelque droit divin qui y serait mêlé ? Subit animum timor, ne fraudibus humanis vindicandis divini juris aliquid immixtum violemus. Et quand, sur la proposition du consul, le sénat proscrit les bacchanales de Rome et de l’Italie, le sénatus-consulte spécifie : « Que si quelqu’un considère ce culte comme traditionnel et nécessaire, et ne croie pas pouvoir y renoncer sans impiété, il devra en informer le préteur urbain, lequel prendra l’avis du sénat. » Ainsi, en l’an 186, au moment de détruire une association qui, sous le manteau de superstitions orientales, s’est souillée de tous les crimes et a mis l’état en péril, le sénat semble distinguer entre le culte même et ses adeptes, tant il a peur, en frappant ceux-ci, de porter la main sur quelque chose de sacré !

On comprend peut-être mieux maintenant pourquoi Épicure dépossède tous les dieux, sans distinction, du gouvernement de l’univers. Entre cette multitude innombrable, comment choisir ? Qui sait si les divinités protectrices d’Athènes et de la Grèce sont assez puissantes pour lutter contre l’influence occulte, mal définie, d’autant plus redoutable, de ces divinités étrangères, de tous ces démons jaloux, capricieux, pervers, funestes, qui épient, assiègent les malheureux mortels, et réclament, sous peine d’effroyables vengeances, un culte souvent ignoré, des propitiations bizarres, compliquées, parfois déshonorantes et cruelles ? Si encore la Providence,