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poste, écrivait-il au colonel de Saint-Arnaud, il n’y aurait probablement eu qu’une insurrection dans le vide : l’ennemi n’aurait pas osé attaquer Ténès, puisqu’il ne l’a pas fait, malgré le scindement des forces. Ce détachement de 50 à 60 hommes a tenté le diable ; c’était bien le cas de le retirer quand Claparède est sorti avec les forces les plus disponibles. Il faut que cette manie de l’éparpillement et de l’immobilisation des forces soit quelque chose de bien invétéré dans les esprits pour que, malgré nos paroles et nos écrits si multipliés contre ce système, on le suive encore si souvent. »

Le 2e bataillon d’Afrique était arrivé, le 22, à Ténès ; le lendemain, il escortait un convoi de biscuits dirigé sur Orléansville, quand, une heure après son départ, il fut assailli par Ben-Hinni et ses Kabyles ; mais le convoi, bien défendu, parvint à destination sans avoir laissé une voiture en arrière ; malheureusement, l’escorte avait eu 5 hommes tués et 52 blessés. Aussitôt le colonel de Saint-Arnaud se mit à la poursuite des Beni-Hidja, dont il ravagea impitoyablement le territoire pendant que le général de Bourjolly agissait contre les Sbéa. Une peine, inconnue jusqu’alors, avait été décrétée contre les rebelles par le maréchal Bugeaud : le désarmement. Pour ces tribus guerrières, c’était la plus terrible de toutes.

Rien n’y faisait. Le 28 avril, un grand poste, Orléansville même, vit ses retranchemens insultés par Bou-Maza, qui avait soulevé et ameuté toute la vallée du Chélif. Il va sans dire qu’il fut repoussé ; mais encore plus que l’attaque du camp des Gorges, cette tentative insensée fut célébrée parmi les Arabes et les Kabyles à l’égal d’une victoire. L’insurrection avait gagné l’Ouarensenis. Mohammed-bel-Hadj lui-même, l’agha des Beni-Ouragh, devenait suspect.

Le 2 mai, le maréchal Bugeaud partit d’Alger avec le duc de Montpensier, qui avait réclamé l’honneur de faire campagne avec lui. Une colonne de sept bataillons : zouaves, 3e chasseurs à pied, tirailleurs indigènes, 6e léger, 36e de ligne, de trois escadrons : chasseurs d’Afrique et spahis, et d’une batterie de montagne, d’un effectif total de 5,500 baïonnettes et de 500 chevaux, avec 1,000 mulets de bât, attendait le gouverneur sous Miliana. Une seconde colonne de trois bataillons, un escadron et deux pièces de montagne, sous les ordres du général Reveu, était en avant-garde à l’embouchure de l’Oued-Rouina. Le 7 mai, le maréchal prit le commandement et pénétra, le 9, dans l’Ouarensenis insurgé. Il marchait à petites journées, détruisant les gourbis, les moissons, les vergers, recevant, d’ailleurs, plus d’averses que de coups de fusil. Les insurgés s’écartaient de sa route ; à peine y eut-il à l’arrière-garde quelques petites affaires qu’il y aurait de l’excès à nommer des combats. Le 22 mai, la colonne du maréchal et celle du général Reveu vinrent prendre des vivres aux magasins d’Orléansville.