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quelques observations sur votre abonnement au Siècle, et même à l’Afrique et à l’Algérie ? Pour l’Algérie, les observations portent sur moi-même, car j’ai eu la faiblesse de m’y abonner, ce que je ne renouvellerai pas. Je conçois très bien que vous ayez le désir de lire un journal de l’opposition comme le Siècle ; et moi aussi je les lis quand j’en trouve l’occasion, mais je ne les paie pas, de même que je me garderais bien de donner des armes, des munitions et des vivres à Abd-el-Kader. Vous n’avez certainement pas l’opinion du Siècle : pourquoi donc l’alimentez-vous ? Ne pourriez-vous pas charger quelqu’un à Paris de vous procurer le Siècle de seconde main ? Vous l’auriez un peu plus tard une première fois, et voilà tout. Plusieurs personnes à qui j’ai dit la même chose m’ont répondu : « Bah ! qu’est-ce qu’un abonnement de plus ou de moins ? » Oui, un abonnement n’est rien ; mais comme 25,000 ou 30,000 personnes font à l’égard du Siècle le même raisonnement, il en résulte que ce journal a 45,000 abonnés dont plus de moitié n’appartiennent pas à son opinion. Cependant il est autorisé à dire : « vous voyez bien que je représente l’opinion de la France, puisque je suis le journal qui a le plus d’abonnés ; » et il persévère avec d’autant plus d’ardeur dans sa détestable ligne qu’il reçoit plus d’argent. Ne faisons pas comme ces tirailleurs qui, un jour de bataille, s’arrêtent derrière un arbre ou un rocher en se disant : « Un homme de moins n’empêchera pas de gagner la bataille ; » mais comme des milliers de tirailleurs font en même temps le même raisonnement, il en résulte que la bataille ne marche pas. » Notons ici que le maréchal Bugeaud, qui, comme Napoléon Ier, détestait la presse, se faisait, comme lui, très souvent journaliste ; le Moniteur algérien de ce temps-là est rempli de ses articles. « Les mauvais tours dont vous avez à vous plaindre, lui écrivait son ami M. de Corcelles, vous viennent en grande partie de votre humeur d’opposition et aussi de votre goût pour la polémique écrite, car bien que vous soyez un grand homme d’action, je vous considère comme un très superbe opposant et très habile journaliste. Vous n’aimez pourtant ni l’opposition ni les journaux. Toute votre vie vous serez journaliste contre les journaux ; mais comme vous serez mieux que cela, il n’y aura pas grand mal. »

Pour en revenir aux griefs du gouverneur, le plus grand reproche qu’il faisait à l’administration de la guerre était de contrecarrer ses idées sur la colonisation. Nous faisons exclusivement l’histoire de la conquête : l’histoire de la colonisation est un sujet tout à fait distinct et que nous ne voulons pas traiter ; néanmoins, il nous est impossible de n’y pas toucher en cet endroit, parce que ce grave problème a pesé d’un poids lourd sur l’esprit et sur les résolutions du maréchal Bugeaud.