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Le système du maréchal avait contre lui la majorité dans les chambres, dans l’armée même des contradicteurs, à commencer par La Moricière, qui tenait pour la colonisation civile, et dans le gouvernement l’administration de la guerre. Devant cette opposition compacte, il essayait d’une transaction : « Je ne veux pas, disait-il dans le Moniteur algérien, exclure la population civile ; elle existe, elle est un fait qui ne peut pas rétrograder. Je lui laisserais 12 ou 15 lieues à partir de la côte ; mais en avant, au sud de l’Atlas, j’établirais de nombreuses colonies militaires. » Pour l’établissement de ces colonies, il demandait un premier crédit de 500,000 francs ; mais, sans attendre le vote de la chambre, il adressait aux généraux sous ses ordres une circulaire exécutive, comme s’il n’eût pas douté du succès : « J’ai lieu, disait-il, de regarder comme très prochain le moment où nous serons autorisés à entreprendre un peu en grand les essais de colonisation militaire ; invitez donc MM. les chefs de corps à les faire connaître à leurs subordonnés et à vous adresser, aussitôt qu’il se pourra, l’état des officiers, sous-officiers et soldats qui désirent faire partie des colonies militaires. » Cette circulaire intempestive et maladroite, car elle contribua pour beaucoup au rejet du crédit, fut blâmée vivement, et son auteur fut en quelque sorte obligé de faire amende honorable. Son plus grand tort, disait-il, était d’avoir employé au futur les verbes qui auraient dû être au conditionnel, par exemple : « Les colons recevront,.. » au lieu de : « Si le gouvernement adoptait mes vues, les colons recevraient… »

On voit, par tout ce qui précède, dans quel état d’esprit le maréchal Bugeaud s’en allait conférer avec le ministre de la guerre. « J’ai la conviction, avait-il écrit, dès le 30 juin, à M. Guizot, que M. le maréchal Soult a l’intention de me dégoûter de ma situation pour me la faire abandonner. Cette pensée résulte d’une foule de petits faits et d’un ensemble qui prouvent qu’il n’a aucun égard pour mes idées, pour mes propositions. Vous avez vu le cas qu’il a fait de l’engagement, pris devant le conseil, de demander 500,000 fr. pour un essai de colonisation militaire ; c’est la même chose de tout ou à peu près. Il suffit que je propose une chose pour qu’on fasse le contraire, et le plus mince sujet de ses bureaux a plus d’influence que moi sur l’administration et la colonisation de l’Algérie. Je ne puis être l’artisan de la démolition de ce que je puis sans vanité appeler mon ouvrage. Je ne puis assister au triste spectacle de la marche dans laquelle on s’engage au pas accéléré. Extension intempestive, ridicule, insensée de toutes les choses civiles ; amputation successive de l’armée et des travaux publics pour couvrir les folles dépenses d’un personnel qui suffirait à une population dix fois plus forte, voilà le système. Je suis fatigué de lutter sans succès contre tant d’idées fausses, contre des bureaux inspirés par