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Philippe, — il faut lui rendre cette justice sans hésitation et sans réticence, — ne faisait alors aucun des calculs que la malveillance des courtisans de son aïeul aurait pu lui attribuer et qui eussent compromis l’œuvre de la pacification. Il avait donné l’ordre à une junte, dans laquelle siégeaient les hommes les plus considérables et les meilleurs jurisconsultes du royaume, le comte de Frigiliana, le duc de Montalto, le cardinal de Giudice, don Garcia Paros de Araciel, don Francisco Portella, don Luis Curiel, d’examiner la demande que lui avait transmise Louis XIV, au nom de l’Angleterre, de décider si les lois du royaume lui permettaient de l’accueillir, et, dans ce cas, de procéder à la rédaction de l’acte par lequel il devait renoncer, en présence des cortès, au trône de France. La junte avait obéi et s’était mise à l’œuvre sans retard. Elle avait opéré promptement et consciencieusement, guidée par des documens authentiques que fournirent les archives nationales et qui constataient les formalités accomplies jadis dans de pareilles circonstances[1]. Elle avait tout d’abord prononcé un avis favorable et rédigé ensuite, avec le plus grand soin, un premier projet que le roi d’Espagne s’était bâté d’expédier du comte de Bergueick pour qu’il en donnât communication à Louis XIV. En le remettant à Philippe, elle lui avait fait observer, avec une respectueuse insistance, que les renonciations des princes français à la couronne d’Espagne ne devaient pas se faire attendre, parce qu’il était nécessaire que la dignité du peuple espagnol fût satisfaite par une évidente et légitime réciprocité. Sur les ordres du roi, elle dressa elle-même, en quelques jours, les deux actes constatant ces renonciations, et les copies en furent envoyées à Versailles.

Louis XIV se fit lire les trois projets ; il les relut lui-même avec une profonde attention et en approuva pleinement le contenu : « Le comte de Bergueick a communiqué les actes de renonciation, mande, le 15 août, Torcy à Bonnac. Ces actes importons n’auraient pas été dressés si bien, à beaucoup près, ici, qu’ils l’ont été à Madrid. Je doute qu’on puisse demander des clauses et des expressions plus fortes que celles qu’ils contiennent. »

Telle n’est pas l’impression du gouvernement de la reine, qui examine, à son tour, les trois projets. Il sait gré certainement à Philippe de son empressement et de son bon vouloir. Mais la rédaction proposée par la junte espagnole ne le satisfait qu’à demi. Il n’en trouve pas les termes suffisamment explicites ; et, après l’avoir soigneusement examinée lui-même, il imagine de la soumettre au contrôle des « savans docteurs de l’université d’Oxford. »

  1. Lors des renonciations au trône d’Espagne de Marie-Thérèse et de Marie-Anne d’Autriche, qui avaient épousé deux rois de France, Louis XIV et Louis XIII, son père.