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L’Incarnatus débute par une sorte de plain-chant étonné. Puis des frissons, comme des rides légères, courent sur l’orchestre, et tout doucement les mêmes paroles reviennent flotter dans l’air. Au-dessus du chant scintillent des trilles de flûtes qui donnent au tableau une grâce mystique. L’auditeur, selon le caprice de son imagination, peut entrevoir ici quelque lointaine adoration de bergers, ou l’ne de ces vierges d’or fin que salue un ange aux cheveux blonds.

L’Homo factus est se chante à pleine voix, sans crainte et sans humilité. Beethoven ne baisse pas la tête comme les fidèles à l’office. Il exprime fièrement la revendication du Christ par L’humanité, la mainmise de l’homme sur l’Homme-Dieu.

La Crucifixus est de la plus grande beauté. Sur des notes déchirantes, portées comme des sanglots, les quatre solistes traînent tour à tour le seul mot : Passus ! Il a souffert. L’orchestre, lui aussi, se traîne, fait avec les voix des dissonances poignantes, et le funèbre lamento aboutit à ces mots : Et sepultus est, murmurés avec horreur. Encore un dernier cri : Passus ! Cette souffrance a été si affreuse, qu’il faut la rappeler, même après qu’elle a cessé par la mort. Mais, cette fois, tout est consommé, et une sombre modulation ferme le divin tombeau.

Voici la résurrection, l’ascension et toutes les promesses de béatitude et de gloire qui terminent le Credo. Voici, après les pages dramatiques et descriptives, les pages dogmatiques et les grands chœurs bondissant d’allégresse. Voici la fameuse fugue Et vitam venturi sæculi. Amen. Beethoven, dit-on, s’est battu avec elle durant des nuits entières. Pendant qu’il la composait, on l’entendait hurler et frapper du pied. Il aurait mieux fait de ne pas provoquer le monstre. Ces pages sont terribles, même à entendre, et par momens tout à fait horribles. Les voix grincent, râpent, raclent les unes contre les autres comme des machines mal ajustées ; c’est de la musique d’engrenages qui vous broie et vous déchire.

Comme après cela le Sanctus est le bienvenu, ce Sanctus calme, psalmodié doucement par des êtres qui vivent dans l’éternel repos ! A la fin de la ritournelle d’orchestre, avant le premier appel : Sanctus ! une même note répétée plusieurs fois, et de la manière la plus simple, donne la sensation d’un immense espace où des milliers de voix se transmettraient à l’infini l’hymne angélique.

Le célèbre Benedictus nous a un peu déçu. On est délicieusement ému d’abord par cette phrase suave du violon solo qui descend peu à peu des hauteurs, par ce rythme de l’accompagnement qui tombe, tombe sans cesse d’une chute régulière et lente ; mais le morceau dure trop. La phrase mélodique, déjà longue par elle-même, s’allonge encore et semble revenir en arrière au lieu d’avancer. Certaines modulations manquent de charme, et puis les voix montent trop, et le violon