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K O W A L S K I
LE MENUISIER[1]

Je dus sa connaissance au hasard, ou, pour mieux m’exprimer, je la dus au printemps de Yakoutz, cette saison sibérienne, étrange et merveilleuse, dont aucun Européen ne peut se faire une idée. Le soleil de Yakoutz commence ordinairement à chauffer dès la première quinzaine d’avril. Au mois de mai, son globe de feu disparaît à peine, pendant quelques heures, de l’horizon, et sa chaleur est extrêmement intense. Cependant, avant que la Grande-Léna ne se soit débarrassée de ses chaînes hivernales, avant que la fonte complète des neiges, amoncelées à perte de vue dans les vastes forêts-vierges, ne soit accomplie, on ne peut dire que le printemps soit arrivé. Une lutte gigantesque s’engage alors entre les puissans rayons du soleil et ces blocs formidables de glace, épais de deux mètres, que la terre, gelée elle-même à quelques centaines de pieds de profondeur, est impuissante à réchauffer.

Le soleil triomphe enfin, la sève éclate dans la profondeur des forêts ; la Grande-Léna, la reine des eaux, l’aïeule, comme l’appellent les Sibériens, est enfin rappelée à la vie. Et l’on assiste, vers les derniers jours de mai, dans la ville de Yakoutz, à un curieux

  1. De même que Sroul de Lubartow (voir la Revue du 1er  mars 1888), ce récit est tiré d’un volume d’esquisses publié par M. Adam Szymanski, chez F. Suszczinski. éditeur à Pétersbourg, 1887. (Szkice, t. I.)