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polémiste. On y trouve des peintures de mœurs, des portraits, des récits d’une langue souple et naturelle. Toute déclamation a disparu. L’écrivain s’est dégagé de l’école de Jean-Jacques Rousseau. Il rentre dans les meilleures traditions françaises, et l’ouvrage est aussi agréable pour nous qu’il est fort et cruel pour ses adversaires.

Lamennais commence naturellement par expliquer la question, y par résumer l’entreprise qu’avaient tentée les rédacteurs de l’Avenir, et dont ils venaient soumettre le plan à l’autorité du pape. Cette entreprise était celle-ci : le fait d’une aspiration universelle à la liberté étant donné, ils avaient essayé une réconciliation du christianisme et de la liberté. D’une part, ils voulaient ramener le libéralisme à sa source pure et primitive, c’est-à-dire au christianisme : en effet, la source du despotisme n’est autre chose que l’égoïsme ; renversez les despotes, vous n’aurez rien fait si l’égoïsme subsiste ; ils seront remplacés par d’autres despotes. On ne peut donc combattre le despotisme qu’en combattant l’égoïsme, et on ne peut combattre l’égoïsme que par l’amour et la charité. À la cause du mal il faut substituer la cause efficace du bien ; or, la charité, c’est la loi évangélique qui l’a introduite dans le monde. La liberté et l’esprit chrétien sont donc inséparables.

D’un autre côté, il faut réconcilier le christianisme et le libéralisme. Pourquoi ? Lamennais touchait ici un point délicat, et sa franchise n’avait rien qui pût plaire à Rome. Il signalait comme un fait évident que le christianisme avait perdu du terrain dans le monde. Comment le reconquérir ? Est-ce en s’associant à la cause du pouvoir, c’est-à-dire d’un principe fragile qui partout recule devant le principe de liberté ? Non ; le christianisme doit se régénérer en plongeant ses racines dans le principe nouveau qui anime le monde. En unissant sa cause à celle des peuples, le christianisme peut retrouver sa vigueur éteinte. Il s’agit de quelque chose de semblable à ce qui s’est passé lors de la première prédication de l’évangile. Le vieux monde croulait de toutes parts. Le christianisme a pris la défense des faibles contre les forts, des pauvres contre les riches. Le titre de serviteur est devenu la dénomination du pouvoir. C’est ce qu’il faut imiter et renouveler. D’où vient le délaissement des peuples ? C’est que l’église a pris parti pour les puissans et pour les forts. Il s’agit de regagner la confiance populaire, de venir en aide aux besoins de l’humanité, de la seconder dans ses nouvelles aspirations, de faire régner enfin le principe chrétien de l’égalité des droits.

Voilà la thèse de la nouvelle école catholique. Cette thèse, disait Lamennais, pouvait bien au premier abord ne paraître ni trop absurde ni trop choquante. Elle méritait examen et sympathie, et, en