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tout cas, quelque indulgence, car elle venait d’un désir sincère du bien. Cependant mille obstacles s’élevèrent ; mille oppositions et entraves enrayèrent cette entreprise ; on faisait parler Rome, qui n’avait rien dit. Les intéressés voulurent savoir ce qu’elle pensait. C’est à elle-même qu’ils étaient venus soumettre leurs doutes et leurs espérances. Ils attendaient une parole de bonté et de direction. « Sans doute, dit Lamennais avec un esprit de soumission que l’on doit croire sincère, si, à cette époque, les écrivains de l’Avenir avaient pu savoir d’une manière certaine qu’il étaient désapprouvés, ils seraient rentrés dans le silence. » Peut-être en parlant ainsi, l’auteur des Affaires de Rome se croit-il après coup plus de douceur, d’humilité et de résignation qu’il n’en avait au fond. L’âpreté de cette nature énergique laisse quelque doute sur cette soumission éventuelle à laquelle il paraît croire. Cependant, il est en effet probable que, si la désapprobation fût venue plus tôt, plus franche, plus cordiale, lorsque les esprits n’étaient pas encore engagés, et n’avaient pas encore ce levain d’amertume qui fermente dans une lutte irritante, il est probable, dis-je, que la soumission eût été plus facile et plus complète, et peut-être n’eût-on pas vu la fatale rupture qui allait bientôt éclater. D’autre part cependant, si Lamennais et ses amis eussent eu plus d’expérience des hommes, plus de sens pratique, au lieu d’apporter, dans un temps d’affaires comme le nôtre, les sentimens d’apôtre d’un saint Paul ou d’un Pierre l’Ermite, ils auraient compris que, si Rome ne disait rien, c’est qu’elle n’approuvait pas. Ce qu’elle pouvait faire de mieux à l’égard d’une entreprise aussi nouvelle, c’était de se taire ; et ses amis auraient dû se contenter du silence. Le journal ne faisant plus ses frais, il fallait renoncer à la publicité quotidienne et continuer à soutenir la cause, non encore condamnée, et qui ne l’eût peut-être pas été, par des écrits individuels ou par tout autre moyen. Vouloir aller trop vite, trop presser le saint-siège, dont la situation était délicate, puisqu’il était lui-même un de ces pouvoirs dont on voulait détacher le christianisme, c’était trop demander. Eu exigeant trop, on compromettait tout ; en demandant une parole expresse, on forçait le saint-siège à prendre parti ; et qu’il pût dire oui, c’est ce qui était bien peu probable, étant données les tendances connues de la cour de Rome. On se mettait donc soi-même d’avance dans la triste alternative d’une pénible soumission ou d’une dangereuse révolte.

Lamennais ne méconnaissait pas cependant que son entreprise entraînait beaucoup de difficultés, précisément par le mélange de temporel et de spirituel qui constituait alors la souveraineté pontificale. Le pape était à la fois évêque et souverain. La question,