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si grave en elle-même, l’était en outre beaucoup plus à Rome qu’à Paris. Lamennais, avec son esprit absolu et son tempérament d’apôtre, n’hésitait pas et il s’écriait, en s’adressant au pape : « Abandonnez les débris terrestres de votre grandeur ruinée. Reprenez la houlette des premiers pasteurs. » Cela était plus facile à dire qu’à faire. Il disait encore avec une grande vérité : « Qu’aucune institution ne déchoit que par l’affaiblissement de son principe et ne se relève que par le retour à l’esprit qui lui est propre. » Mais lorsque avec le temps une institution s’est mêlée au réseau d’une société compliquée, est-il si facile de revenir à la simplicité primitive ? Sans doute le christianisme à l’origine était une doctrine essentiellement populaire ; mais, comme toutes les puissances, il s’était organisé avec le temps ; la hiérarchie avait remplacé la simplicité première. Il s’était combiné avec des intérêts sociaux innombrables dont il n’était pas facile de le dégager. Pour redevenir ce qu’il avait été à l’origine, était-ce simplement l’alliance avec les pouvoirs politiques qu’il fallait dénouer ? N’était-ce pas tout le système de la hiérarchie constituée par le moyen âge ? et ne devait-on pas se rappeler que c’était ce retour à l’église primitive qui avait été le mot d’ordre du protestantisme ? L’établissement d’un catholicisme libéral ne pouvait donc se faire que peu à peu, par le fait des transactions nécessaires que le temps amène avec lui, mais non par une brusque évolution, comme celle qui captivait l’imagination et répondait aux passions ardentes de l’abbé de Lamennais. Mais dans le feu de la lutte, d’aussi froides réflexions avaient peu de chances d’être accueillies par lui, comme ses propositions révolutionnaires en avaient peu de l’être par la souveraine autorité.

Sans méconnaître cependant la valeur plus ou moins plausible des argumens qu’on pouvait lui opposer, Lamennais croyait pouvoir se plaindre au moins de ce qu’à Rome sa doctrine n’avait pas même été examinée. Il ne put d’abord obtenir aucune audience, et lorsqu’il réussit enfin à en avoir une, c’était à la condition qu’il n’y serait question de rien. En attendant, il insistait, et, à défaut d’entretien oral, il envoyait au saint-père un Mémoire qu’il a reproduit dans les Affaires de Rome. Dans ce mémoire, il examinait en détail les deux systèmes de conduite qui étaient possibles en France pour le clergé après la révolution de 1830 : ou rester attaché au pouvoir et se perdre avec lui, comme on l’avait fait sous la restauration, et cela en faveur d’un gouvernement nouveau essentiellement hostile, et qui, sans aller jusqu’à la persécution, voulait l’asservissement de l’église ; ou, au contraire, s’unir au parti de la liberté pour obtenir une liberté de conscience entière,