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La paix perpétuelle règnera dans ce monde quand les nations seront parfaitement sages, et quand les rois seront semblables à ces dieux d’Epicure qui, du haut de leurs intermondes, contemplent avec indifférence toutes les agitations de ce globule terraqué.

Les partisans de la paix perpétuelle sont des optimistes; ils sont persuadés qu’il suffit de raisonner pour faire entendre raison aux hommes. Il est bon qu’il y ait des optimistes, il est bon aussi qu’il y ait des philosophes, qui se défient. Le divin Platon, Platon l’idéaliste, qui disait qu’il faut prendre Dieu p0ur la mesure de toutes les affaires humaines et juger les choses d’ici-bas en les comparant aux idées archétypes, immuables et éternelles, n’était guère optimiste et ne se faisait aucune illusion sur ce qui se passe dans les cités. Il enseignait qu’il y a dans le règne animal beaucoup d’espèces et qu’elles sont toutes adaptées au genre de vie qu’elles doivent mener. II distinguait parmi les quadrupèdes ceux qui ont le pied fendu et ceux qui ont des sabots, ceux qui ont des cornes et ceux qui n’en ont point, et parmi les bipèdes ceux qui ont des ailes et ceux qui ne sont pas nés pour voler, ceux qui vivent solitaires et ceux qui se rassemblent en troupes. il en inférait que cet animal politique qu’on appelle l’homme est un de ces bipèdes qui n’ont pas d’ailes et qui ne laissent pas de vivre en société, et il définissait la politique l’art de prendre soin d’une espèce particulière de troupeaux.

Comme il s’amusait quelquefois à habiller de fables les vérités, il racontait à ses disciples que, quand le temps de créer des êtres mortels fut venu, les dieux les formèrent d’argile, de feu et d’autres élémens, et qu’ils chargèrent Épiméthée et Prométhée de les douer de facultés heureuses, qu’Épiméthée, plus étourdi qu’habile, favorisa les animaux privés de raison, donna aux uns la force, aux autres l’agilité ou une taille avantageuse, à tous les moyens de se nourrir et de défendre leur vie contre le froid, contre le chaud et contre leurs ennemis. Il avait été si prodigue pour eux qu’il ne resta rien à donner à l’homme, animal nu, à peau rase, exposé aux intempéries, sans chaussure, sans vêtemens, sans défense, et condamné à périr si, pour réparer la sottise de son frère, Prométhée n’avait dérobé à Vulcain et à Minerve les arts mécaniques et le feu, dont il enseigna l’usage à cet être si dénué. Il lui apprit aussi à articuler des sons et à former des mots. Jupiter lui-même y ajouta l’art politique, et comme il veut que tout le monde vive, les cités ne pouvant subsister longtemps dans le désordre, il chargea Mercure de communiquer aux hommes une parcelle de la nature divine, de jeter dans leurs âmes des semences de justice et d’honneur, αἰδῶ τε ϰαὶ δίϰην.