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une simple extension du même arrêté[1], on met en liberté d’autres proscrits de fructidor, les plus malheureux et les plus inoffensifs de tous, quantité de prêtres qui languissent entassés dans l’île de Ré. — Deux mois après[2], une loi proclame que la liste des émigrés est définitivement close ; un arrêté prescrit l’examen accéléré de toutes les demandes en radiation ; un second arrêté efface de la liste les premiers fondateurs de l’ordre nouveau, les membres de l’assemblée nationale « qui ont voté pour l’établissement de l’égalité et pour l’abolition de la noblesse ; » et jour par jour, de nouvelles radiations se succèdent, toutes individuelles et nominatives, sous couleur de tolérance, de grâce et d’exception[3] : le 19 octobre 1800, il y en a déjà 1,200. À cette date, Bonaparte a gagné la bataille de Marengo; le chirurgien restaurateur se sent plus libre de ses mains; il peut, sans danger ni résistance, opérer largement, procéder par rattachemens collectifs. Le 20 octobre 1800, un arrêté retranche de la liste des catégories entières, toutes les personnes dont la condamnation est trop grossièrement injuste[4] ou malfaisante, d’abord les mineurs de moins de seize ans et les femmes d’émigrés, ensuite les laboureurs, artisans, ouvriers, journaliers et domestiques avec leurs femmes et leurs enfans, enfin les 18,000 ecclésiastiques qui, bannis par la loi, ne sont partis que pour obéir à la loi, outre cela, «tous les individus inscrits collectivement et sans dénomination individuelle, » tous les individus déjà rayés, mais provisoirement, par les administrations locales, d’autres classes encore. De plus, et en fait, nombre d’émigrés, encore maintenus sur la liste, se glissent un à un en France, et le gouvernement les y tolère[5]. Enfin, dix-huit mois plus tard, aussitôt après

  1. Arrêté du 30 décembre 1799.
  2. Arrêtés du 26 février, du 2 mars et du 3 mars 1800.
  3. Thibaudeau, Mémoires sur le consulat, 199. (Paroles du premier consul à Regnault, séance du conseil d’état, 12 août 1801.) « j’aime bien à entendre crier contre les radiations. Mais vous-mêmes, combien n’en avez-vous pas sollicité? Cela ne peut être autrement; il n’y a personne qui n’ait sur les listes un parent ou un ami. »
  4. Thibaudeau, Ibid. (Paroles du premier consul.) « Il n’y a jamais eu de listes d’émigrés, il n’y a que des listes d’absens. La preuve, c’est qu’on a toujours rayé. J’ai vu sur les listes des membres de la Convention même et des généraux. Le citoyen Monge y était inscrit. »
  5. Thibaudeau, ibid., 97. — « Le ministre de la police faisait sonner bien haut l’arrestation et le renvoi de quelques émigrés rentrés sans autorisation ou qui inquiétaient les acquéreurs des biens, et, en même temps, il accordait de toute main des surveillances à tous ceux qui en demandaient, sans avoir égard à la distinction faite par l’arrêté du 28 vendémiaire. »