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La peinture, quoique réduite à la surface, a à sa disposition un champ bien plus étendu que la sculpture et l’architecture. Celles-ci ont sans doute besoin d’un milieu extérieur ; elles ont un certain rapport avec les objets environnans et doivent s’y harmoniser. Mais ce milieu extérieur n’entre pas dans l’art lui-même. On ne place pas un monument au milieu d’un jardin factice en pierre ; on ne met pas une statue dans un cadre de statues faisant tableau. Au contraire, la peinture réunit dans une seule toile les monumens et la nature, les hommes, les animaux et les plantes, le ciel et la terre. D’où vient cette différence ? À la rigueur, la sculpture pourrait en faire autant. Elle pourrait reproduire des scènes, des tableaux variés, des drames. Dans le bas-relief, il y a quelque chose de semblable. Détachez le relief, séparez-le de la pierre et réalisez extérieurement et isolément les différentes parties, vous auriez un tableau en pierre, vous auriez, à ce qu’il semble, l’équivalent de la peinture ; c’est ce qui n’a pas lieu. Sans doute, la sculpture va jusqu’au groupe : elle reproduira un homme à cheval ou Laocoon et le serpent, ou un fleuve avec ses petits enfans qui représentent des rivières ; mais elle ne va pas plus loin. Qui s’y oppose ? Pourquoi, au lieu d’un dieu, ne reproduirait-elle pas un Olympe tout entier ? Sans résoudre ce problème, que nous livrons aux esthéticiens, disons qu’il semble bien en fait qu’il y a dans chaque art une limite qu’il ne peut dépasser sans tomber dans un excès de réalité qui ferait disparaître l’art.

La peinture n’est pas la réalité même. Autrement, dit Lamennais, le daguerréotype serait au-dessus de Raphaël et du Poussin. L’an n’est donc pas la simple imitation de la nature. Il se mêle quelque chose de nous à tout ce que nous voyons. Les grands paysagistes ne voient pas tous la nature de la même manière. Maintenant une question nouvelle se présente. Pour peindre les choses de la nature, les peintres ont à leur disposition deux moyens : le dessin et la couleur. À proprement parler, le dessin lui-même est une couleur ; car, pour distinguer une ligne, il faut qu’elle soit colorée, en noir, en blanc, en rouge, peu importe ; et dans l’art du dessin lui-même, les différens tons, et la différence du noir et du blanc sont en réalité des couleurs. Mais ce n’est qu’un minimum de couleur, une couleur de convention, n’ayant d’autre but que faire distinguer les formes. Au contraire, la couleur proprement dite vaut pour elle-même à titre de couleur. De là ce débat entre les diverses écoles de peinture : lequel de ces deux élémens doit prédominer et avoir le plus de valeur, de la couleur ou du dessin ? Lamennais, comme tous les grands idéalistes, mettait le dessin au-dessus de la couleur. Il voyait dans l’un l’esprit et dans l’autre la matière : l’un a plus de