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du temps, il eût été un peu étrange, on en conviendra, que son exil fût maintenu par ceux qui, un an après, ne se bornaient pas à une lettre, qui frappaient le même président d’une sorte d’indignité en le forçant à quitter l’Elysée. N’est-il donc plus possible d’accomplir simplement, dignement, des actes de cette nature qui sont des actes d’équité et de bon goût tout à la fois, sans les diminuer par de fausses analogies, comme l’a fait M. le président du conseil, par des vulgarités de parti, comme l’a fait M. le ministre de l’intérieur? Quelle inconséquence de s’exposer à se retirer, par des paroles équivoques et de mauvaises concessions de langage, les bénéfices d’une bonne action qui a si visiblement répondu à un sentiment universel!

Le malheur est qu’on n’en est pas à une inconséquence près dans notre politique troublée et que nos ministres, même en s’associant à une généreuse initiative de M. le président de la république, ne paraissent pas plus avancés dès qu’ils touchent à toutes les questions du jour. Le nouveau ministère dont M. Constans est l’homme d’action et dont M. le garde des sceaux Thévenet semble devoir être l’homme d’exécution par autorité de justice, ce ministère nouveau est né sans doute dans des conditions difficiles. Il a trouvé devant lui une situation où tout est obscur et menaçant, où l’anarchie morale, financière, administrative, créée par dix années de politique plus ou moins radicale, a préparé des révoltes croissantes d’opinion, une redoutable recrudescence des idées dictatoriales. Cette situation, elle était certainement grave au lendemain de l’élection du 27 janvier, et elle n’a pas cessé de l’être. Comment y remédier? C’est ici qu’on entre dans une vraie et inextricable confusion. Le ministère a trouvé tout simple d’aller droit au danger qu’il a cru le plus imminent, de s’armer de tous les moyens de répression, de frapper la propagande dite boulangiste dans son organisation, dans ses instrumens, en dissolvant la « ligue des patriotes, » devenue une sorte d’armée de M. le général Boulanger. Le prétexte a été une proclamation de la ligue, où l’on a cru voir une provocation à une guerre extérieure, — à une guerre avec la Russie! Ce n’était pas sérieux. Au fond, ce qu’on a voulu, c’est dissoudre la ligue, saisir des papiers, surprendre les preuves d’une action secrète, d’une conspiration organisée, pour avoir les élémens d’un vaste procès où seront impliqués les chefs de la bruyante association, M. Déroulède et même quelques députés, M. Laguerre, M. Laisant, M. Turquet.

Soit; la ligue est dissoute, on a multiplié les perquisitions, on va avoir un procès : c’est l’affaire de la justice. Il est impossible seulement de ne pas remarquer que cette «ligue des patriotes» existe depuis longtemps, qu’elle était tout aussi dangereuse il y a quelques années qu’aujourd’hui, qu’elle aurait dû disparaître depuis longtemps si on n’eût consulté que l’intérêt public, et qu’on n’a songé à la poursuivre que le jour où l’on s’est senti menacé par son intervention. Et pour arriver à l’atteindre,