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que fait-on? On s’expose justement à compromettre une cause qui est la cause des libertés publiques par les plus petits moyens. On est obligé de fouiller dans le vieil arsenal des répressions, d’aller chercher une loi de 1834, une loi de circonstance de 1848, les articles 291-293 du code pénal sur les associations de plus de vingt personnes. Notez bien que ces articles, déjà mis en doute sous le roi Louis-Philippe, tombés depuis en désuétude, ont de tout temps provoqué les animadversions, les plus violentes déclamations des républicains qui les invoquent aujourd’hui; Mais ce n’est pas tout. Si la « ligue des patriotes » tombe sous le coup de ces articles retrouvés si à propos, il y a d’autres associations qui sont dans les mêmes conditions, qui ont leur organisation, leurs affiliés en province. Ces associations qui ne sont pas plus légales que la « ligue des patriotes, » qui se donnent, elles aussi, un rôle électoral, les poursuivra-t-on ? Si on les poursuit, on met la scission au camp républicain ; si on ne les poursuit pas, c’est l’arbitraire avoué, avéré, un arbitraire intermittent se servant des lois quand il veut, les appliquant à qui il veut et à l’heure où il le veut. C’est pour le moment, à ce qu’il paraît, l’idéal républicain ! De sorte que tout est incohérence, contradiction, inconséquence et légèreté dans cette étrange affaire qui rappelle les grands procès politiques d’autrefois, où le ministère s’est laissé entraîner sans savoir où il allait, uniquement par une impatiente irritation de parti.

Ce qui est réellement curieux, c’est l’attitude des républicains dans cette crise, qui est leur ouvrage. Après avoir, sous prétexte de progrès, désarmé l’état par leurs lois sur la presse, sur les réunions publiques, par la liberté laissée aux associations les plus dangereuses, ils se figurent aujourd’hui qu’il leur suffit de supprimer une association, d’aller chercher dans la poussière des archives les ressources des vieilles légalités, de faire condamner quelques hommes ! Que la « ligue des patriotes » — Certes peu intéressante par elle-même — Et ses chefs soient condamnés, comme le demande M. le garde des sceaux Thévenet, c’est possible. On n’en est encore qu’aux préliminaires, à la demande d’autorisation de poursuite contre quelques députés qui est discutée aujourd’hui même à la chambre. On poursuivra, on condamnera peut-être; mais ce serait une étrange méprise de croire qu’avec quelques répressions, même en y joignant quelques lois de circonstance, ou l’interdiction de candidatures multiples aux élections, on va détourner le courant des choses et reprendre l’avantage dans la redoutable partie engagée devant le pays. Les répressions passent ou n’atteignent que quelques hommes; la situation reste ce qu’elle est, profondément altérée et ruinée par dix années de désorganisation et d’abus de parti. Quand on supprimerait, — politiquement bien entendu, — M. Laguerre et même M. le général Boulanger, est-ce qu’on supprimerait aussi les dégoûts, les irritations, les révoltes