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ou usuel de la journée dans les fabriques d’Angleterre ou d’Amérique. Pour l’équilibre du délicat organisme humain, les dix ou onze, parfois même les douze heures de labeur du continent, sont peut-être préférables. Ce phénomène de l’intensité croissante du travail, qui s’accentue au fur et à mesure que la journée se réduit, c’est un des mérites de Karl Marx de l’avoir signalé ; c’est un grain de vérité au milieu de l’inextricable fatras de développemens sophistiques et abstrus qui remplissent son célèbre livre sur le Capital. Or va-t-on régler aussi cette intensité du travail, fixer combien de tours par minute devra faire au maximum chaque machine, combien de fois la navette devra être lancée par chaque métier, combien de métiers même chaque ouvrier pourra conduire ? Si le législateur recule devant ces déterminations minutieuses qui devront changer à chaque instant, sa législation sera inefficace. S’il s’engage au contraire dans cette voie, c’en est fait pour toujours de tout le progrès industriel.

Les plus avisés, parmi les partisans de la réglementation du travail par l’état, quoiqu’ils n’aient pas aperçu la difficulté qui précède, en ont deviné une autre qui n’est pas de chétive importance. Toutes les nations aujourd’hui ont, en dépit de toutes les barrières douanières, des relations d’échanges entre elles. Il faut bien que les contrées de l’Europe occidentale, par exemple, se procurent ces denrées que leur sol est impuissant à produire : le coton, le café, le cacao, le pétrole, le cuivre, mille autres encore. Pour les avoir, il convient qu’elles puissent écouler certains de leurs propres produits à l’étranger : or, sur les marchés extérieurs, chaque nation est à l’état de concurrence avec toutes les autres. N’est-il pas à craindre que celle qui restreindra le plus les heures de travail ne se mette dans des conditions d’infériorité avec ses rivales et, que, par conséquent, elle ne voie un jour son commerce extérieur anéanti ?

Autrefois l’on n’avait pas ces craintes. On répétait superbement que la brièveté de la journée de travail, en rendant la génération ouvrière plus forte, mieux constituée, plus apte à la besogne, assurait la supériorité industrielle au peuple qui adoptait ce régime. On a bien des fois rappelé l’expérience de ce fabricant alsacien, sous le règne de Louis-Philippe, qui, ayant réduit d’une demi-heure la journée de travail dans ses ateliers, où le salaire était à la tâche, vit, au bout de peu de temps, la productivité moyenne de chaque journée s’élever : on produisait plus, disait-on, en travaillant moins longtemps. Cela n’est pas impossible, dans une certaine mesure. Le point délicat, c’est de fixer cette mesure. Dans la discussion de l’une des nombreuses lois anglaises connues sous le nom de Factory acts, Macaulay intervint, à l’appui du projet, avec