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cet éclat d’images qui lui était habituel : « La durée du travail a été limitée, disait-il. Les salaires sont-ils tombés ? L’industrie cotonnière a-t-elle abandonné Manchester pour la France ou l’Allemagne ? .. L’homme, la machine des machines, celle auprès de laquelle toutes les inventions des Watt et des Arkwright ne sont rien, se répare et se remonte, si bien qu’il retourne à son travail avec l’intelligence plus claire, plus de courage à l’œuvre et une vigueur renouvelée. Jamais je ne croirai que ce qui rend une population plus forte, plus riche, plus sage, puisse finir par l’appauvrir. Vous essayez de nous effrayer en nous disant que, dans quelques manufactures allemandes, les enfans travaillent dix-sept heures sur vingt-quatre ; qu’ils s’épuisent tellement au travail que sur mille il n’en est pas un qui atteigne la taille nécessaire pour entrer dans l’armée, et, vous me demandez si, après que nous aurons voté la loi proposée, nous pourrons nous défendre contre une pareille concurrence. Je ris à la pensée de cette concurrence. Si jamais nous devons perdre la place que nous occupons à la tête des nations industrielles, nous ne la céderons pas à une nation de nains dégénérés, mais à quelque peuple qui l’emportera sur nous par la vigueur de son intelligence et de ses bras. » Quarante-trois ans se sont écoulés depuis cette magnifique harangue. Serait-il dans la destinée du déclin de notre siècle d’infliger un démenti à toutes les promesses idéalistes, à toutes les prophéties idylliques de cette ère de foi qui s’est écoulée de 1830 à 1850 ? Aujourd’hui, personne n’aurait plus la superbe confiance de Macaulay. La chambre de commerce de Manchester, cette année même, commence à déserter la cause du libre échange, le free-trade, pour prôner le « loyal échange » ou la réciprocité, le fair trade. Elle s’inquiète de la concurrence des bas salaires et des longues journées d’Allemagne et de Belgique, plus encore de celle des Indes. Les filatures de coton de Bombay font trembler les manufacturiers de Manchester. Il y a quelques semaines, la chambre de commerce de cette ville votait une résolution pour demander au gouvernement l’application des Factory acts aux usines de Bombay et des autres villes de l’Inde.

Généralisant et anticipant sur des concurrences encore inconnues, les partisans de la réglementation du travail par l’état en sont venus à demander une législation internationale commune pour la protection des travailleurs. C’est la thèse du docteur Adler, dont nous parlions plus haut ; c’était avant lui celle d’un de ses éminens compatriotes, l’un des chefs du socialisme catholique, M. de Ketteler, évêque de Mayence. Si l’on n’obtient pas une législation industrielle identique chez toutes les nations civilisées, les lois réglementant le travail à l’intérieur d’un état ou d’un groupe