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disparaître. De même, les institutions de patronage, c’est-à-dire cette intervention bienveillante, philanthropique ou chrétienne, des chefs d’industrie, qui se manifeste par des modes variés et efficaces de secours, l’inflexible mécanisme gouvernemental tend à les éliminer. Un rapport de M. Keller sur l’industrie de la houille en France établit que dans 37 exploitations, comprenant 28,000 ouvriers, les dépenses de secours et aussi de pensions étaient supportées exclusivement par les compagnies. Dans 95 autres, comprenant plus de 31,000 ouvriers, les compagnies fournissaient 531,000 francs et les retenues des ouvriers 969,000 ; la part du patron dépassait ainsi celle fixée par la loi allemande. Bien plus, dans 73 autres exploitations, les retenues fournissaient 1,652,000 fr., et les subventions, 1,188,000. En fait, sur 5,212,000 francs, formant les recettes des caisses françaises dans l’industrie des mines, 2,622,000 seulement provenaient des retenues, et 3,177,000 des versemens des compagnies. D’après le tarif allemand, celles-ci n’auraient été astreintes à fournir que 1,311,000 francs. D’autre part, la rigidité de la loi allemande, qui impose aux patrons comme une dette civile une cotisation qu’ils considéraient comme une simple dette morale, change à la longue les dispositions des industriels. L’on a remarqué qu’un certain nombre, depuis la loi, hésitent à engager des ouvriers valétudinaires ou incurables, afin de ne pas charger la caisse de leur établissement : même les autres ouvriers s’opposent parfois à l’entrée des nouveaux-venus d’une santé débile, dont ils auraient à couvrir partiellement les frais de maladie. Quoi qu’on fasse, la philanthropie officielle, sous une forme obligatoire et générale, et la philanthropie privée et libre ne peuvent longtemps fonctionner de compagnie : l’une doit ruiner l’autre. Voici une belle observation d’Herbert Spencer : « Dans toute espèce de société, chaque espèce de structure tend à se propager. De même que le système de coopération volontaire, établi soit par des compagnies, soit par des associations formées dans un dessein industriel, commercial ou autre, se répand dans toute une communauté ; de même le système contraire de la coopération forcée sous la direction de l’état se propage ; et plus l’un ou l’autre s’étend, plus il gagne en force d’expansion. La question capitale pour l’homme politique devrait toujours être : Quel type de culture sociale est-ce que je tends à produire ? Mais c’est une question qu’il ne se pose jamais. » Peut-être le grand-chancelier de l’empire allemand se l’est-il posée. On lui prêtait dernièrement ce mot prononcé à un moment, vers la fin du second empire, où il était vaguement question de désarmement : « Nous autres, Prussiens, nous naissons tous avec une tunique. » Faire que la tunique soit de plus en plus