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étroite et que les mouvemens y soient de plus en plus gênés, cela peut être un idéal ; mais il tend à supprimer la civilisation.

Le troisième projet allemand, celui de l’assurance obligatoire contre les infirmités et la vieillesse, nous retiendra peu. Les deux précédens auprès de celui-ci, qui est grandiose par l’intention et par la formule, sont de simples enfantillages. Il n’est encore qu’en cours de discussion. En voici les dispositions principales : l’ouvrier aurait droit, à partir de soixante-dix ans, à une pension variant de 90 francs à 210 francs par an, suivant le taux moyen des salaires de la commune où il aurait travaillé. Pour la détermination de ce taux moyen, les communes de l’empire seraient réparties en cinq catégories. Quand l’ouvrier, ce qui est un cas fréquent, aurait varié ses résidences, les difficultés ne seraient pas minces, les calculs seraient fort compliqués. Quant aux pensions pour infirmités, elles atteindraient, selon la durée de la période pendant laquelle l’ouvrier aurait versé ses cotisations, 24 à 50 pour 100 du salaire moyen de la commune. Les pensions pour infirmités et celles pour la vieillesse ne pourraient être annulées. Les femmes n’auraient droit qu’aux deux tiers du montant des pensions affectées aux hommes, c’est-à-dire que la retraite de l’ouvrière âgée de plus de soixante ans varierait de 70 à 140 francs. Les sommes nécessaires au service de ces pensions, bien infimes, certes, en elles-mêmes, mais formant par leur nombre une masse considérable, seraient ainsi recueillies : les patrons et les ouvriers supporteraient chacun le tiers de la dépense et l’état le dernier tiers. Le taux probable de ces cotisations reste entouré d’une grande obscurité. La loi frappe d’abord par son caractère illusoire. Toute loi doit être sérieuse, cohérente, c’est-à-dire qu’elle doit pouvoir atteindre, au moins théoriquement, le but qu’elle se propose. Ici, le but, c’est de mettre l’ouvrier dans ses vieux jours à l’abri du besoin. Or est-ce que la vieillesse pour l’ouvrier ne commence qu’à soixante-dix ans ? On croit rêver en lisant ce chiffre. Voyez-vous un couvreur, ou un marin, ou même un tailleur de pierres et un manœuvre de soixante-cinq ou soixante-huit ans ? Le telum imbelle sine ictu, de Virgile, ne s’applique pas seulement aux guerriers. D’après le Bulletin de statistique, publié par notre ministère des finances, l’âge moyen des fonctionnaires français admis à la retraite, en 1886, était de cinquante-sept ans et quatre mois. J’admets que le relâchement de l’administration et la méthode sauvage pratiquée sous le nom d’épuration aient trop rabaissé l’âge de la retraite dans nos services civils ; on devrait revenir à la pratique suivie il y a vingt-cinq ou trente ans, en 1860, par exemple, quand l’âge moyen de la retraite, l’âge moyen le plus élevé que l’on ait vu depuis 1854, était