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l’industrie moderne se crée en Chine, elle ne tardera pas à se développer ; l’établissement de manufactures, l’exploitation des mines, l’introduction des chemins de fer, seront de nouvelles sources de richesse ; elles feront vivre des milliers d’individus qui n’avaient jusqu’ici d’autre ressource que l’agriculture. L’industrie mécanique sera comme une soupape de sûreté ouverte aux énergies humaines dangereusement accumulées dans les provinces trop peuplées.

Ce n’est donc pas du danger d’être submergés par les flots pressés des fils de Han que se doivent inquiéter le vieux monde ni même les colons qu’il a envoyés coloniser les pays d’outre-mer.

S’il y a un péril chinois, c’est dans le développement économique qu’est appelé à prendre l’Empire du Milieu. Le temps est passé du dédain que les Célestes professaient pour les « barbares. » — « Il est grand temps, dit un remarquable document officiel de 1887[1], que des mesures soient prises pour inoculer des forces nouvelles au corps de l’état ; le seul moyen d’y parvenir est d’introduire l’étude de la science et des arts mécaniques de l’Occident. » En conséquence, ce rapport propose que, dans les programmes des examens, aux sujets traditionnels sur les classiques et la poésie soit ajoutée une épreuve de mathématiques. Et si ces examens du premier degré révèlent des talens capables de pousser plus loin ces études nouvelles, leurs noms seront enregistrés et ils seront admis à subir à Pékin un examen d’un ordre plus élevé sur les matières suivantes : philosophie, mathématiques, mécanique, art de l’ingénieur, tactique militaire et navale, artillerie de marine, torpilles, droit international[2], histoire.

Mais les sujets de Kwang-sû n’avaient pas attendu, pour se mettre au fait des procédés de « la science occidentale. » que le Tsung-li-Yamên eût donné le signal de l’abandon définitif des préjugés traditionnels. Partout où les fils du Ciel sont entrés en contact avec les Européens, ils se sont mis à bonne école, et bon nombre d’entre eux ont surpassé leurs maîtres. Les étonnantes aptitudes du Chinois pour le commerce sont connues de longue date ; l’expérience prouve aujourd’hui qu’il n’est pas moins habile industriel.

« Tous ceux qui visitent Singapour, Bang-Kok, Saïgon, Batavia, dit M. de Lanossan, sont frappés de l’importance prise dans ces villes par les commerçans et les ouvriers chinois : je ne parle pas de Hong-Kong, où les Européens sont noyés dans la population indigène… Ils y détiennent non-seulement le petit commerce et les

  1. « Mémoire du Tsung-li-Yumên proposant un plan de réforme pour l’introduction des mathématiques et autres sciences occidentales dans les concours provinciaux et métropolitains pour l’admission aux emplois civils. » (12e année de Kwanp-sû, 1887.)
  2. Sic dans le Mémoire officiel : Comment douter après cela que la Chine soit décidément entrée dans les voies de la « civilisation occidentale ? »