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faire vivre quelque temps les mauvais gouvernemens et d’empêcher les bons de durer.

Sous réserve des modifications de forme, imposées par les exigences des temps et l’évolution des idées, le trait le plus curieux de la démocratie américaine, pendant les cent années de son histoire, est l’existence simultanée et l’organisation de deux droites, l’une au pouvoir, l’autre dans l’opposition, alternativement. Diverses par les nuances, hostiles par intérêt et par ambition surtout, elles sont d’accord sur le fond des doctrines et des principes essentiels, alors même qu’elles se combattent avec acharnement à propos des questions du jour.

Washington et le groupe distingué des fédéralistes ses amis sont des anglo-monarchistes d’origine et de convictions. La république, qu’ils établissent par nécessité, reste fortement empreinte des traditions britanniques. John Adams, le second président des États-Unis, ne cachait pas son admiration pour le gouvernement de l’Angleterre, « l’une des plus hautes conceptions de l’esprit humain. » Au bout de douze ans, le parti démocrate l’emporte, et les tendances républicaines se développent sous l’impulsion de Jefferson. Celui-ci pourtant, malgré ses théories radicales, prenait son point d’appui sur la petite propriété agricole, sur la masse des planteurs et des ruraux, qui sont encore aujourd’hui les plus fermes soutiens des institutions américaines. L’élection du général Jackson, en 1828, fait faire un grand pas à la démocratie, dont les plus mauvais instincts sont flattés. La pratique brutale de la « rotation » des emplois publics et la doctrine du « droit aux dépouilles » impriment à la politique une tache qui va s’élargissant sous les administrations suivantes.

De Washington à Lincoln, les compétitions des partis sont très vives, sans avoir de caractère morbide pernicieux. L’interprétation plus largo ou plus étroite de la constitution fédérale, les banques, la trésorerie indépendante, les relations extérieures, les annexions de territoires et les conquêtes servent tour à tour de platform électorale. Parfois, le différend s’aigrit au sujet des tarifs de douane et d’autres questions sectionnelles, ainsi nommées parce qu’elles coupent en deux le pays, par suite de l’antagonisme économique entre le travail servile et le travail libre, entre le Sud agricole et le Nord industriel. Nombre de lois bonnes et mauvaises sont débattues, votées, maintenues ou rapportées pour satisfaire à des intérêts nationaux, locaux, personnels et collectifs, plus ou moins égoïstes. Quelles que soient l’incorrection des moyens mis en jeu et l’ardeur déployée de part et d’autre, on ne voit pas intervenir les haines de classes, les idées de spoliation systématique, ni