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dangereux soit à craindre encore. Les attributions essentielles subsistent de part et d’autre. L’ensemble du gouvernement a gardé son ordonnance primitive, grâce à la tolérance réciproque des pouvoirs qui le constituent.

Chacun d’eux, dans sa sphère d’action, a commis des erreurs et des fautes, surtout quand l’intérêt électoral ou les exigences de parti se trouvaient en jeu. Hamilton remarquait, il y a cent ans déjà, qu’aucun pacha d’Orient ne compte autant d’adulateurs et d’esclaves que le peuple souverain dans les démocraties libres. Plus d’un président des États-Unis a justifié cette critique. Jefferson n’était pas éloigné d’ériger en dogme l’infaillibilité populaire. Nul n’ignore combien Jackson recherchait la faveur des foules. Madison ne fut-il pas accusé de pousser à la guerre contre la Grande-Bretagne afin d’assurer sa réélection ? Tyler mérita un reproche analogue lors des difficultés avec le Mexique à propos de l’annexion du Texas. En revanche, l’histoire américaine s’honore d’exemples très différens. Washington, tout le premier, sauva le pays de ses propres entraînemens et sut maintenir la paix en résistant aux passions déchaînées qui réclamaient un changement de politique envers l’Angleterre. Naguère encore, dans son adresse d’inauguration, le président Garfield parlait au peuple un langage honnête et viril, sans hésiter à lui dire de rudes vérités : « Un mauvais gouvernement local est un mal dont personne ne conteste la gravité. Mais violer la liberté et la sainteté du suffrage est plus qu’un mal : c’est un crime qui finirait par détruire le gouvernement même… Nous n’avons pas d’instrument de mesure pour apprécier l’étendue des désastres qui peuvent fondre sur nous par suite de l’ignorance et du vice des citoyens, s’ajoutant à la corruption et à la fraude électorales… Si la génération qui nous suit se laisse aveugler par l’ignorance et corrompre par le vice, la chute de la république est certaine et sans remède[1]. »

Récemment. M. Cleveland refusa d’employer l’énorme excédent budgétaire provenant des recettes de la douane à augmenter inutilement le chiffre des dépenses fédérales ou le nombre des fonctionnaires de l’Union. Il ne consentit pas davantage à le répartir entre les États particuliers sous la forme de vastes travaux publics. Pourtant l’élection présidentielle approchait, et M. Cleveland était candidat. Les fermes paroles de son successeur, M. Harrison, dans le message inaugural du i mars dernier, ont montré que l’exécutif, en passant d’un parti à l’autre, ne changeait pas de principes. « Le devoir des citoyens est d’obéir aux lois ; celui du gouvernement,

  1. Appleton’s Cyclopœdia, 1881.