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parmi lesquels on ne compte pas moins de vingt alcaloïdes. Le plus important de ces derniers, celui que l’opium renferme on plus grande abondance et auquel il doit ses principales propriétés, c’est la morphine. Découverte par Sertuerner au commencement du siècle, elle fut immédiatement utilisée dans la pratique médicale, sous forme de solution, de sirop ; on l’employa même en application extérieure ; mais l’usage ne s’en serait pas vulgarisé, elle n’aurait pas conquis la faveur des gens du monde et donné naissance à un vice élégant, si Pravaz n’avait pas imaginé l’ingénieux instrument à l’aide duquel on introduit les médicamens sous la peau, pour les livrer à l’absorption active et prompte du tissu cellulaire qui la double. les perfectionnemens apportés à l’appareil primitif, et surtout la substitution de l’aiguille creuse au trocart, en ont rendu l’emploi tellement facile que les injections hypodermiques de morphine sont devenues d’un usage courant en thérapeutique et que les malades eux-mêmes peuvent se les pratiquer. L’impulsion a été donnée en 1855 par un médecin anglais, le docteur Wood, et depuis lors, cette pratique a pris une extension qu’on n’avait pas prévue. Je parlerai plus tard de l’abus qu’on en a fait ; mais il est juste de constater d’abord les services qu’elle rend.

Les injections de morphine calment la douleur avec une promptitude extraordinaire. Le soulagement est presque instantané. Au bout de quelques minutes, on commence à en sentir les effets. Peu à peu la souffrance la plus aiguë se transforme en un simple engourdissement, qui fait bientôt place à un état de bien-être délicieux. Il faut l’avoir éprouvé pour en comprendre le charme. C’est un demi-sommeil léger, que le moindre bruit fait cesser ; parfois même c’est l’insomnie, mais elle est si agréable qu’on ne songe pas à s’en plaindre. Les morphinomanes passent souvent la nuit entière à lire sans regretter le sommeil.

La douleur, dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral, revêt des formes bien variées ; les homéopathes, qui sont des analystes de première force, en admettent soixante-treize espèces différentes ; mais la morphine n’a pas souci de ces distinctions subtiles, elle calme toutes les douleurs, quelles que soient leurs causes et les formes sous lesquelles elles se traduisent. Lorsqu’elle joint son action à celle de l’éther ou du chloroforme, rien ne lui résiste.

L’art de guérir aurait pu se contenter de ces deux moyens ; mais la chimie et la physiologie expérimentale lui ont offert de nouveaux caïmans qui sont venus compléter son arsenal analgésique. Ce sont d’abord les alcaloïdes de la belladone, du datura stramonium, de la jusquiame, de l’aconit, puis le chloral et les bromures alcalins. Le chloral a été découvert par Liebig en 1832 et introduit dans la