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La cause véritable de ce mépris est dans le discrédit qu’ont jeté sur l’art primitif de leur pays les Allemands eux-mêmes. Les Allemands ne se sont pas guéris, depuis le XVIe siècle, de leur cécité native. Mais, justement en raison de cette infirmité, ils ont admis avec plus de ferveur des théories esthétiques dont il leur a toujours été impossible de vérifier l’exactitude. On leur a dit et ils ont cru que la peinture ne pouvait avoir qu’un seul but, la beauté de la forme ; ils ont même cru, par surcroît, que cette forme était une, invariable, universelle. On comprend qu’ils se soient mis dès lors à dédaigner leur vieille peinture nationale, qui était pleine d’une beauté de sentiment incomparable, mais qui certes n’avait rien à faire avec la conception classique de la beauté formelle. Et comment voudrait-on que les étrangers s’intéressassent à un art méprisé à ce point par ses compatriotes eux-mêmes ?

Il y a lieu d’espérer, pourtant, que la juste appréciation de la peinture allemande va nous devenir plus facile. C’est que les Allemands sont vaniteux, soucieux infiniment de la gloire de leur pays. Ils commencent à s’apercevoir que ces vieux peintres tant dédaignés étaient des Allemands, et qu’il importe à leur honneur national de paraître les respecter. Aussi, depuis quelques années, les musées se sont-ils largement ouverts aux œuvres des primitifs. A Munich, à Berlin, à Stuttgart, à Vienne, les peintures nationales ont été recueillies avec soin et convenablement exposées. Les villes qui jadis avaient été les sièges des principales écoles, Cologne, Nuremberg, ont créé de somptueuses galeries où les travaux de ces écoles sont traités avec mille égards. Les Allemands ne cessent pas de les dédaigner, au fond de leur cœur, et de leur préférer les compositions les plus médiocres de Carlo Dolci ou de Ferdinand Bol : mais ils vénèrent comme des monumens de leur passé national ces choses qu’ils refusent d’admettre comme des œuvres d’art.

En même temps qu’ils sont soucieux de leur gloire, les Allemands sont érudits, portés à tous les travaux de patience. Or il arrive que leur érudition, depuis soixante ans, a complètement épuisé l’histoire des peintures italienne et flamande : toutes les dates sont découvertes, toutes les attributions rectifiées. La critique allemande s’est enfin tournée vers un domaine inexploré, l’histoire de l’ancienne peinture allemande. Aussi bien ce domaine allait-il lui offrir la matière la plus riche. Il avait été si parfaitement négligé que, aujourd’hui encore, certains catalogues de musées ne contiennent pas une attribution qui n’ait besoin d’être révisée. On avait assigné à des peintres du XIVe siècle des ouvrages évidemment postérieurs à la fin du XVe siècle. On avait confondu sous deux ou trois noms : Lochner, Wohlgemuth,