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Holbein, des peintures si hétérogènes qu’elles ne pouvaient être ni du même temps ni de la même école. L’érudition allemande s’est jetée avec joie dans cette étude nouvelle. De consciencieux et pénétrans critiques ont commencé à déblayer le terrain : M. Hotho, M. Scheibler, M. Henry Thode. Et voici que, grâce à ces travaux préparatoires, l’histoire de la peinture allemande s’est trouvée assez mure pour permettre à un savant professeur de Strasbourg, M. Janitschek, de tenter une revue d’ensemble de cette peinture : excellent manuel, où se trouvent clairement résumés tous les travaux antérieurs. Nous essaierons à notre tour d’indiquer, en les appuyant sur les faits que nous donne l’ouvrage de M. Janitschek, les momens et les caractères principaux de la peinture allemande primitive.


I

Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, l’Allemagne n’a pas eu de peinture nationale. On trouve bien déjà çà et là, dans certaines miniatures et même dans quelques fresques, la marque d’un effort pour secouer les formes byzantines, pour animer d’expressions plus vivantes l’archaïque rigidité des attitudes. Mais si l’on excepte ces tentatives isolées, la peinture, presque toujours cultivée dans les couvens, est restée jusqu’au XIVe siècle un art de tradition, sans rien qui lui donne un caractère distinctif. C’est seulement au début du XIVe siècle que la peinture allemande est devenue originale, nationale, en devenant laïque. Elle est sortie des couvens pour entrer dans le peuple, et le peuple lui a confié la tâche de traduire les fortes et naïves émotions de son cœur.

Aussi bien jamais un peuple n’a-t-il eu à traduire des émotions plus profondes. Vers la fin du XIIe siècle, un prodigieux courant de mysticisme laïque s’était répandu à travers les âmes allemandes. « En 1349, dit la Chronique de Limburg, la peur de la mort amena tous les habitans du pays à se repentir de leurs péchés et à chercher des moyens de faire pénitence ; et ils le firent de par leur seule volonté, sans prendre conseil ni secours du pape ou de la sainte Eglise. » Dans le même temps, un marchand de Strasbourg, Merswin, déclarait que « ceux des laïques qui vivaient avec Dieu valaient mieux que le clergé pour la direction des âmes. » Chacun voulait faire son salut par ses propres forces. Les villes et les villages étaient pleins de saintes ménagères qui voyaient Dieu, d’ouvriers qui prophétisaient, et de savans bourgeois qui opéraient des miracles. De toutes les âmes débordait une piété fervente, et toutes