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peignit le grand Dombild de la cathédrale de Cologne, qui semble avoir été son dernier ouvrage, Lochner a évidemment fait connaissance avec l’art des Van Eyck. Malgré l’avis des historiens allemands, nous croyons qu’il n’y a rien pris, et que le Dombild est le résultat naturel des tendances séculaires de l’école de Cologne. Assurément, la part est faite plus large à un certain réalisme : les formes du corps sont plus naturelles, les tons plus justes ; plusieurs des personnages sont même déjà traités en portraits, à la façon flamande. Mais comme on sent que tout cela est secondaire, que le but véritable de l’œuvre est un but d’expression religieuse, une symphonie mystique et non la restitution d’une scène de la réalité ! Cette vierge aux yeux baissés, gardant le type ancien de Cologne, tandis que l’entourent des jeunes filles aux regards déjà hardiment ouverts, cette vierge encore vêtue d’un costume idéal parmi des adorateurs accoutrés à l’allemande, c’est elle qui est le centre, le foyer lumineux de l’œuvre tout entière. A son contact, tous les visages se transfigurent, toutes les formes acquièrent une délicate puissance d’expression qui les rattache profondément à cet être surnaturel. Les procédés même dénotent l’originalité du peintre. Ils prouvent qu’il a connu la méthode de l’huile, qu’il en a compris les effets, mais qu’il a voulu obtenir, avec l’ancienne méthode de la détrempe, les mêmes variétés et richesses de nuances. Le Dombild est le chef-d’œuvre de la technique ancienne, comme il est le chef-d’œuvre de l’ancienne tendance de l’école de Cologne.

Une grande Crucifixion du musée de Nuremberg nous montre un Lochner tout autre : un maître aux expressions fortes et douloureuses, sachant composer les scènes de la Passion avec une extrême sobriété d’effets. Cette manière doit avoir eu, en Allemagne, un vif succès, à en juger par les nombreux tableaux qui la reproduisent, et dont le plus remarquable est un Jugement dernier du musée de Cologne.

De tous les peintres allemands du XVe siècle, Lochner et ses élèves sont les seuls qui aient presque entièrement résisté à l’influence flamande. Tous les autres n’y ont résisté que d’une façon pour ainsi dire inconsciente, par l’unique empêchement de leur nature, qui ne leur a point permis d’imiter une peinture trop habile et trop réaliste : d’autant que l’art flamand qu’ils ont le mieux connu n’est pas celui des Van Eyck ou de Memling, mais l’art tout d’adresse de Hogier Van der Veyden.

En général, les pointures allemandes se distinguent aisément des peintures flamandes qui les ont inspirées[1]. Au point de vue

  1. Sur la technique de la peinture allemande, Voir l’excellente Introduction de M. G. Hirth au Cicerone de la Pinacothèque de Munich, 1880, p. XII et suivantes.