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Le temps n’est pas éloigné où, pour les Allemands, la peinture allemande du XVe siècle se résumait dans le nom d’Holbein le vieux. Aujourd’hui encore c’est à lui que les marchands de tableaux attribuent toutes les peintures primitives allemandes, quand ils n’en font pas honneur à Memling ou à Patinir. Et certes le maître d’Augsbourg mérite l’attention à plus d’un titre. D’abord, il est le père d’Holbein le Jeune et le professeur de son fils. Lui-même, en outre, a été un peintre très habile, disposant de toutes les ressources de son métier. Il a connu les Italiens, les Flamands, les Allemands : à tous il a pris ce qu’il jugeait le meilleur ; et il a mis une maîtrise incontestable à fondre ces emprunts hétérogènes dans une manière bien à lui. Ajoutons qu’il se montre, dans ses dessins, un portraitiste merveilleux, supérieur à son fils par la précision et la simplicité des moyens. Il n’est pas seulement, comme Zeitblom, un excellent dessinateur : il est un coloriste de premier ordre, et c’est à lui que l’école d’Augsbourg doit les traditions qui en ont fait, au XVIe siècle, l’école vénitienne de l’Allemagne. En un mot, il est le plus peintre des peintres allemands de son siècle.

Mais cela ne suffit pas, croyons-nous, pour faire un grand artiste. Holbein a beau être le premier peintre de son pays ; il y a, dans les pays voisins, des maîtres qui, au point de vue de la peinture proprement dite, sont supérieurs au premier de l’Allemagne. Carpaccio a plus de couleur qu’Holbein, et Mantegna un dessin plus fort. La comparaison avec ces étrangers n’enlève rien à Lochner, à Schongauer, à Schwarz : ceux-là sont des peintres d’un genre à part, ils ne valent que par les émotions qu’ils ont su traduire. Mais Holbein le vieux manque d’émotion. Peintre, il est inférieur aux étrangers ; créateur d’émotions, il est inférieure ses compatriotes. Avec les qualités les plus précieuses il n’a été qu’un Zeitblom de génie.

Et pourtant il semblait destiné à un rôle plus haut. Ses premières œuvres, les Scènes de la vie de la Vierge, à la cathédrale d’Augsbourg, sa petite Vierge du musée de Nuremberg, annonçaient un maître. La science, l’érudition professionnelle, y sont énormes : il y a des détails pris à l’autel de Gand, d’autres à Lochner, d’autres au maître de la Vie de Marie, de Munich ; et tout cela si habilement accommodé, avec des couleurs si chatoyantes et si chaudes, des attitudes d’une grâce si piquante, que l’ensemble est d’une expression très originale. Mais depuis lors, dans les grands tableaux du musée d’Augsbourg, de la Pinacothèque de Munich, même dans le fameux triptyque de Saint Sébastien, la source de l’émotion semble décidément tarie. On a devant soi un art original, correct, riche d’effets, souvent agréable : mais rien