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n’émeut, rien ne vit ; et toute l’habileté du peintre ne parvient pas à animer les scènes les plus mouvementées. Faut-il y voir la conséquence des mœurs du vieil Holbein, de sa prodigalité, et de la nécessité d’une production incessante ? Ou bien n’est-ce pas plutôt qu’il a été victime d’une trop grande habileté, et ne peut-on pas croire que la joie de perfectionner l’exécution matérielle de ses tableaux a éteint chez le vieil artisan la petite flamme de l’émotion artistique ?

Nous ne pouvons guère nous arrêter ici sur l’œuvre de Frédéric Herlin de Nordlingen, qui s’est contenté d’imiter la manière de Rogier. L’espace nous manque aussi pour étudier comme il faudrait l’école de Bamberg, qui semble avoir gardé un rayon de l’idéalisme de Cologne ; l’école de Bavière, d’un réalisme si naïf, si grossier, si étranger à tout sentiment de grâce ou de beauté ; les écoles du Tyrol, singulier mélange de passion italienne et d’ingénuité allemande[1]. Mais il faut bien que nous nous étendions un peu sur l’école de Nuremberg qui va devenir, au XVIe siècle, la grande école de l’Allemagne.

L’école de Nuremberg au XVe siècle se résume dans un seul nom : Wohlgemuth (1434-1519). Wohlgemuth[2] a été le maître de Dürer : on sait qu’il a eu un atelier très important, et qu’il a beaucoup travaillé. Et, comme on ne connaît le nom d’aucun de ses confrères de Nuremberg, on lui a attribué tous les tableaux qui provenaient de cette ville. Il suffit d’entrer dans la grande salle allemande de la Pinacothèque, à Munich, pour apprécier l’étonnante variété de ce fantastique Wohlgemuth à qui le catalogue assigne les œuvres les plus hétérogènes.

Nous devons avouer que sur ce point, comme sur celui des œuvres de Guillaume de Cologne, M. Janitschek ne nous paraît pas avoir dit le dernier mot. A notre sens, il faut distinguer, parmi les prétendues peintures de Wohlgemuth, non pas seulement doux mains différentes, mais au moins quatre ou cinq, dont trois nous semblent des mains de maîtres éminens. Non-seulement la Grande Crucifixion de la Pinacothèque et celle du musée de Nuremberg sont l’œuvre d’un peintre antérieur à celui de la Petite Crucifixion, de la Descente de croix, et des deux autres tableaux de l’Autel de Hof, exposés dans la même salle, à Munich ; mais encore nous croyons que l’auteur de l’Autel de Hof doit être

  1. M. Janitschek a consacré des pages admirables à cette école du Tyrol, notamment au peintre Michel Pacher. Le musée de Schleissheim possède une collection très curieuse de tableaux tyroliens des XIVe et XVe siècles.
  2. Voir, sur Wohlgemuth : von Seidlitz, Wohlgemuth, dans le Zeitschrift für Bildende Kunst de Leipzig, XVIII, p. 169 et suivantes.