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III.

Tel est, en raccourci, le bouddhisme d’Açoka. Il ne peut manquer de charmer par sa douceur pénétrante, de frapper par son élévation ; peut-être aussi déconcertera-t-il par sa simplicité même. Cet aperçu paraîtra maigre à qui connaît, du bouddhisme, surtout sa diffusion immense. Cette maîtrise exercée sur une large portion de l’humanité suppose, semble-t-il, une rare profondeur de doctrine. L’ampleur de la littérature qui, en tant de régions diverses, s’est élaborée autour du bouddhisme, paraît promettre une vigueur de pensée proportionnée à cet effort. Prenons garde de confondre les temps, de transporter dans des milieux très différens du nôtre nos sentimens et nos besoins.

Développée par l’effort continu de la réflexion philosophique, notre conscience cherche dans une religion un enchaînement de dogmes essentiels, des clartés sur la nature des choses, une réponse à ces problèmes fondamentaux qui se sont posés peu à peu en dehors même du mouvement religieux proprement dit. Nous attendons un système pondéré, relié par une suite logique. Cette métaphysique peut devenir le dernier terme d’un mouvement religieux; elle n’en est pas l’origine. Cela est vrai, surtout dans l’Inde, et particulièrement à l’époque où nous reportent les commencemens du bouddhisme. L’esprit, moins ferme et moins exigeant, n’y éprouve guère le besoin d’asseoir les déductions, d’harmoniser les ensembles. La logique, moins substantielle, raisonne souvent sur les idées moins que sur leurs signes, les mots, moins sur des principes que sur des formules traditionnelles. Nous sommes en un pays de civilisation incomplète ; l’enseignement y est étroitement restreint, les idées générales y sommeillent dans une demi-inconscience.

On nous a trop habitués, en nous entretenant du bouddhisme, à des généralités aventureuses et à des rapprochemens suspects. Les retours qu’elle ouvre sur le présent sont, dans l’étude du passé, une grande séduction. Encore ne faut-il pas que des altérations inconscientes faussent les couleurs. La méthode comparative a, de notre temps, mené de beaux triomphes; la comparaison a apporté à la recherche scientifique beaucoup de lumières et beaucoup d’agrément; il faut prendre garde que l’agrément ne fasse tort aux lumières. Les mots, les mots abstraits, sont des vêtemens flottans qui peuvent habiller également des idées fort différentes. Il n’est pas aisé de transposer avec rigueur dans notre milieu d’esprit les modes de penser et de dire d’époques lointaines, moins avancées que la nôtre dans la conscience affinée des idées et de leurs nuances. Au moins ne faut-il pas aggraver, comme il arrive, les illusions que