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le désastre maritime de Samoa tempérerait peut-être quelque peu le zèle des Allemands pour l’extension coloniale ; la mort du négus enflammerait plus que jamais les ardeurs italiennes. Il resterait à savoir si le parlement de Rome, qui a pris ses vacances pour ne revenir à Monte-Citorio qu’au 1er mai, suivrait le gouvernement, si, dans la crise économique et financière que traversé l’Italie, il voudra voter des dépenses nouvelles pour une diversion lointaine dont on ne peut prévoir ni les proportions ni l’issue.

Tout a son importance aujourd’hui, et ce qui se passe dans les états orientaux des Balkans, sans décider précisément de la politique des cabinets, sans faire sortir les gouvernemens de la réserve où ils se retranchent par calcul, n’a pas moins sa place dans l’ensemble des affaires de l’Europe. Les crises intérieures qui agitent ces petits états si récemment émancipés ne sont que des épisodes, si l’on veut. Ce sont des épisodes qui ont leur signification, qui laissent entrevoir des luttes d’influences, des antagonismes toujours latens, toujours prêts à éclater, quoique systématiquement ajournés. Derrière les conflits de partis, les changemens de ministères, même les crises de souveraineté qui se succèdent, il y a la Russie et l’Autriche qui méthodiquement, silencieusement, sans rien brusquer, se disputent le terrain.

Il est certain que le prince Ferdinand de Cobourg a beau se flatter de régner en Bulgarie, à la faveur d’une neutralisation d’influences entre les puissances signataires du traité de Berlin : son règne reste précaire tant qu’il a contre lui la Russie, et à l’abri du nom de la Russie, tous les mécontens, le clergé orthodoxe lui-même avec lequel il est entré en lutte. Tout reste obscur et provisoire en Bulgarie sous un pouvoir de fait qui n’a ni l’autorité morale dans le pays, ni le prestige d’une sanction diplomatique. A Belgrade, dans la Serbie, l’abdication récente du roi Milan a laissé visiblement la situation la plus compliquée. A quels mobiles a obéi ce prince à l’humeur violente et fantasque ? Quelles seront les conséquences de l’acte par lequel il a transmis la couronne à son fils, un enfant de douze ans, après avoir divorcé avec la mère du nouveau roi, la reine Nathalie, par la complaisance d’une autorité ecclésiastique improvisée ? Ce prince étrange, qui n’a peut-être pas renoncé au pouvoir sans arrière-pensée, se promène aujourd’hui. Il était récemment à Vienne, il est maintenant à Constantinople, recevant les politesses du sultan, il va, dit-on, en Palestine, à Jérusalem. Pendant ce temps la régence qu’il a constituée et dont le chef est M. Ristitch, n’est point certainement dans une situation facile. Elle se débat entre les partis qui la pressent et les agitations d’un prétendant sur la frontière du Monténégro. Une question qui n’est pas la moins délicate se joint à toutes les autres et les domine peut-être. La reine Nathalie, à qui le jeune roi paraît être resté profondément attaché, reviendra-t-elle à Belgrade ? les régens, à ce qu’il semble, lui ont